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où l’on peut se dire chaque soir en s’endormant que, si l’on s’éveille au matin avec une révolution, on sera tout porté pour mettre la main sur le bien de l’un et sur la vie de l’autre. À mesure que le radicalisme se propage, il effraie jusqu’à ses premiers promoteurs, et la tête de cette armée anarchique prend peur de l’arrière-garde qui s’amasse à sa suite. Ceux qui possèdent quelque chose se voient avec une inquiétude croissante pourchassés au nom de la fraternité par ceux de leurs coreligionnaires qui ne possèdent rien, et sommés de contribuer à l’entretien de la masse avec une audace toute communiste. On ne leur demande point la charité ; on leur réclame sa part au banquet de la vie. Les riches campagnards ont d’abord été charmés de pouvoir s’approprier les biens des communes et s’affranchir de leurs anciennes redevances vis-à-vis de l’état ou des corporations ; les pauvres entendent à leur tour ne plus payer maintenant ni loyer ni fermage. La crainte d’un bouleversement général pour ainsi ralliés à de meilleurs principes les plus raisonnables ou les plus intéressés d’entre les radicaux, et c’est ce qui explique peut-être le succès de la répression entreprise par le gouvernement de Berne, comme aussi le progrès que semblent faire les opinions conservatrices jusque dans le canton de Vaud, d’où viennent néanmoins tant de difficultés.

À Lausanne, en effet, les radicaux modérés et les anciens conservateurs se sont réunis contre les tendances socialistes ; cette réunion, qui s’est appelée le Cercle national, s’accroît de jour en jour : elle a pu battre les radicaux dans deux élections consécutives pour le grand conseil ; lors de la dernière, qui a eu lieu le 26 janvier, son candidat l’a même emporté avec 900 voix contre 700. Le grand conseil, rassemblé depuis plus d’un mois à Lausanne, n’est pas, à beaucoup près, aussi docile que l’avait espéré le conseil d’état, le gouvernement cantonal. Il a bien adopté les deux projets de loi qui ont supprimé le privilège attaché dans le pays de Vaud comme en France aux charges de notaire, et même, par une extension assez singulière, à l’état de pharmacien ; il a changé ces deux professions en industries, libres, et supprimé par conséquent les propriétés privées qu’elles constituaient jusque-là en faveur des particuliers ; c’était entrer à coup sûr dans la direction générale du gouvernement vaudois ; mais, d’autre part, il a repoussé l’impôt progressif à la majorité de 105 voix contre 55. On voit encore là que ce sont nos questions à nous qui se reproduisent partout où notre montagne a des imitateurs plus ou moins triomphans. Le Cercle national avait enlevé ce vote du grand conseil en faisant pétitionner contre l’impôt progressif, et la pétition reçut 8,000 signatures sui 32,000 électeurs que contient à peu près le canton de Vaud. Une autre pétition, émanée des mêmes influences et signée d’environ 10,000 personnes, a tout dernièrement enfin provoqué une nouvelle mesure qui peut mener à des résultats encore plus considérables. On a demandé qu’il y eût incompatibilité entre les fonctions publiques salariées et le mandat de député au grand conseil : le grand conseil, après en avoir délibéré deux jours, a renvoyé la décision au peuple en masse. Nous nous retrouvons toujours, comme on voit, sur notre propre terrain. Pour saisir tout le sens de ces réclamations dans le pays de Vaud, il faut se reporter au temps où les commissaires du gouvernement provisoire s’appliquaient si activement chez nous à se faire nommer représentans. Les honneurs de la représentation et ceux d’un emploi public, cumulés ainsi sur une même tête,