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mais le gouvernement de Vau lui prête de la force ; tant que celui-ci n’aura point subi de changement, les radicaux garderont Fribourg, car Vaud avec sa position centrale dans la Suisse française avec son armée de vingt-cinq mille hommes, est plus qu’en mesure de gêner les mouvemens de Berne. C’est le canton de Vaud qui sert de base d’opérations à toute l’armée radicale contre les Bernois.

C’est sur cette base que s’appuyait évidemment le coup de Saint-Imier. On n’allait peut-être pas jusqu’à prétendre renverser tout de suite le gouvernement de Berne ; on voulait plutôt, pour ainsi dire, lui tâter le pouls. On comptait sur l’indécision et la mollesse dont le parti conservateur a donné trop de preuves quand il était au pouvoir ; on se figurait que des milices organisées par les radicaux ou commandées par eux, lors même qu’elles n’étaient plus dans leurs opinions, n’obéiraient point aux injonctions des modérés. La Gazette de Berne, journal de M. Stæmpfli, le candidat proposé par le radicalisme pour la présidence fédérale, la Gazette de Berne, à la première nouvelle de l’émeute, s’empressait d’annoncer que les soldats chargés de la réprimer avaient quitté les rangs et jeté leur fusils en disant qu’ils ne voulaient point tirer sur leurs frères. On reconnaît bien là l’éternel rêvé des émeutiers ; mais le rêve n’était dans le cas particulier qu’une fiction gratuite que M. Stæmpfli, traduit en justice, s’est assez mal défendu d’avoir inventée. M. Stæmpfli écrivait aussi, lorsqu’on apprit la blessure du préfet Müller, que le préfet avait été certainement frappé par quelqu’un des siens, et il profitait de l’occasion pour exhorter ses partisans à s’abstenir de toute violence, nonobstant quoi il leur recommandait de dresser des arbres de liberté, ce qui ne ressemblait pas plus à un procédé pacifique que n’y ressemblaient les processions et les manifestations sans armes du Paris révolutionnaire de 1848. Nous mentionnons toutes ces circonstances pour montrer que l’école de l’insurrection est la même en tous pays, et qu’elle n’a nulle part d’argumens ni d’expédiens dont nous n’ayons déjà fait l’épreuve, ce qui n’est point une raison pour que nous la refassions pas encore.

Grace à ces expédiens, on pensait paralyser sur plusieurs points l’action du gouvernement de Berne et reconquérir du crédit dans les campagnes en le forçant à laisser voir de l’impuissance. Il fallait seulement que la lutte se prolongeât assez pour fournir un prétexte à une intervention quelconque de la diète fédérale. Or celle-ci n’est pas du tout bien disposée pour le gouvernement de Berne, et l’intervention eût probablement tourné contre lui ; les journaux du gouvernement fédéral lui signifiaient ouvertement leur mauvais vouloir à la veille même du jour où devait éclater le complot qui se formait contre lui sur son propre territoire ; ils le déclaraient « suspect aux yeux de la confédération tout entière. » D’un autre côté, c’était un de ses adversaires les plus décidés, un partisan de M. Stæmpfli, un homme du Jura, qu’on envoyait à Neufchâtel en qualité de commissaire du pouvoir central. Assailli par les radicaux de l’intérieur, le gouvernement bernois aurait eu bientôt sur les bras les radicaux du dehors, s’il n’avait fait face au péril avec une résolution inattendue. Et qu’on se représente bien ce que c’est que ce radicalisme suisse, la brutalité sans frein ou sans raison, le désordre pour l’amour du désordre, le déchaînement des passions les plus cupides et les plus violentes dans de petites localités où tout le monde se connaît, où chacun a ses rancunes, ses ambitions déterminées d’avance,