Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reine allait répondre à cette vivacité du sentiment populaire, mais non pas au gré des passions qui sommaient son gouvernement de les satisfaire, et que son gouvernement même ou du moins son principal ministre avait eu le tort de provoquer. Le cabinet Whig allait enfin s’exprimer, par l’intermédiaire de le couronne, avec la gravité du langage officiel que lord John Russell avait trop oubliée dans sa lettre à l’évêque de Durham.

Le discours royal a réduit toute la pensée du cabinet à des termes assez simples pour correspondre dans une exacte mesure au véritable état de l’opinion. La reine a déclaré qu’elle entendait maintenir les droits de son trône et la liberté religieuse de son peuple. Ce sont là des paroles qui touchent juste aux fibres sensibles du peuple anglais. Les mesures pratiques auxquelles ces paroles font allusion, et qui sont maintenant l’objet des débats parlementaires, n’auront pas, à beaucoup près, un effet aussi certain, Lord John Russell propose d’interdire les titres anglais aux évêques romains et d’invalider toutes les dispositions prises en leur faveur par quiconque leur donnerait ces titres. Que ces mesures passent ou non au parlement, la question est encore pour long-temps pendante ; elle est de ces questions de liberté si difficiles à résoudre, parce qu’il n’est pas toujours sûr que la liberté réclamée par les uns ne tournera point tôt ou tard au préjudice de la liberté possédée par les autres.

Nous voulons encore aujourd’hui revenir avec quelque détail sur la situation de la Suisse. Il y a tant de chances malheureuses pour que cette contrée devienne le théâtre des plus prochains accidens en Europe, que l’on ne saurait trop maintenant appeler l’attention sur ce qui s’y passe. Nous avons à cela d’ailleurs un intérêt très spécial ; il n’est besoin que de regarder d’un peu près pour voir là un exemple frappant, quoique les proportions en soient petites, du lendemain dont nous jouirions, sur une plus grande échelle, après une victoire remportée tout de bon par les radicaux. Au milieu de nos discordes intimes, nous oublions si facilement la possibilité d’un pareil lendemain, qu’il est à propos d’en remettre la perspective sous les yeux de tant de gens qui n’ont plus l’air d’y songer, Ce n’est pas cependant que la dernière échauffourée de Saint-Imier et d’Interlaken ne soit à présent tout-à-fait terminée ; les arbre de liberté, qui s’étaient trouvés plantés partout à la fois, ont été enlevés ; le gouvernement bernois a publié des bulletins très rassurans sur l’état des esprits dans l’Oberland et le Jura ; il a même commencé à rappeler les troupes. Ce n’est pas non plus que le radicalisme n’ait essuyé depuis quelque temps des échecs assez graves dans le canton de Saint-Gall et dans le canton de Vaud ; mais ces avantages que les modérés semblent désormais regagner leur rendent en quelque sorte plus sensibles les extrémités auxquelles ils espèrent à peine encore échapper ; les efforts qu’il leur en coûte pour se tirer de l’abîme leur en font mieux comprendre la profondeur.

Plus on examine l’état actuel de ceux des cantons qui avoisinent nos frontières, plus on reste persuadé que le gouvernement modéré de Berne a failli recevoir un choc dont l’inévitable conséquence était d’ébranler le peu d’ordre régulier qui eût encore reparu dans la Suisse. Berne est, à l’heure qu’il est, le point de mire de toutes les attaques du parti radical ; le radicalisme lui a juré une guerre à mort, et Berne succombe, si elle ne détruit le radicalisme autour d’elle. Fribourg ne tiendrait guère contre une démonstration vigoureuse