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de ses conceptions ; M. Voeroesmarty, dont les drames ont obtenu au théâtre de Pesth des succès d’enthousiasme ; M. Csaszar, imagination brillante et toujours prête. Un choix intelligent de leurs œuvres, accompagné d’introductions et de notes, éclairerait d’une vive lumière les sentimens et les mœurs de cette Europe orientale dont les destinées commencent à peine. Il serait curieux de savoir exactement quel a été pour les lettres le résultat de la dernière insurrection. S’il faut en croire des témoignages que nous avons recueillis nous-même, on aurait tort de croire que ces événemens puissent exercer sur la poésie une influence heureuse ; ils ont plutôt troublé les vives sources de l’imagination magyare et détourné son cours naturel. Presque tous les poètes ont pris part à la lutte ; plusieurs sont tombés noblement sur les champs de bataille, les autres languissent dans les cachots. Tant qu’ils avaient soutenu une cause nationale, bien qu’ils fussent eux-mêmes les oppresseurs des Slaves, il était difficile de ne pas admirer leur audace la sincérité de leur orgueil, la naïve explosion de leurs préjugés hautains, pouvaient leur servir d’excuse. Le malheur de ce pays, c’est que la révolution est venue le trouver et a transformé une lutte de races en une guerre démagogique. Dès ce moment, tout a été compromis ; comment la poésie, dans cette altération de l’esprit public, n’eût-elle pas subi de mortelles atteintes ? Sous le niveau révolutionnaire, l’inspiration ne se développe plus librement, et l’originalité de la littérature magyare est menacée de disparaître. On n’avait déjà que trop de penchant à imiter la France ; nous savons, par exemple, que le poète du Héros Jancsi publiait, il y a quelques années, une imitation outrée de nos romans de cours d’assises. Il n’est rien de plus facile à copier que ces violens mélodrames ; cette tentation attira M. Petosi, et, dans la Corde du Bourreau, il choisit, dit-on, pour modèles nos récens héritiers de Rétif de la Bretonne. Que serait-ce donc si l’esprit de la démagogie européenne continuait à souffler sur eux ? C’en serait fait bientôt et du caractère national et de la poésie où il se reflète. Et cependant c’est par le respect de sa propre originalité, c’est en demeurant fidèle aux traditions et à l’esprit de ses ancêtres, que chacune des races de l’empire d’Autriche réussira le mieux à maintenir ses droits. Une lutte d’émulation est ouverte entre ces peuples celui qui perdrait son caractère distinct perdrait aussitôt sa puissance ; le gouvernement ne serait plus tenu de compter avec lui. Que les écrivains magyars se défient, donc des entraînemens funestes ; soldats pacifiques de la Hongrie ; qu’ils prennent garde de substituer aux traditions nationales, qui font sa force, l’inspiration révolutionnaire, qui serait l’instrument de sa mort.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.