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donc essayé de rectifier au point de vue de sa philosophie particulière, les antiques légendes de la foi chrétienne ? Les tentatives de cette nature ne sont pas rares chez nos voisins. La jeune école hégélienne possède toute une phalange de conteurs, de poètes et de fantaisistes qui ont prétendu s’approprier, tantôt avec une emphase bouffonne, tantôt avec une légèreté de mauvais ton, les récits des livres saints. Refaire avec les idées panthéistes les premiers chapitres de la Genèse, défigurer ces vieilles et vénérables peintures, imposer à ces tableaux du monde primitif des interprétations inattendues, et en faire sortir la négation du christianisme c’est là une entreprise qui séduirait un poète dans la foule toujours croissante des disciples, de M. Feuerbach. Rassurons-nous : M. Hartmann n’est pas de cette école ; il cherche la poésie dans son cœur et dans la nature ; il ne la demande pas aux pédantesques impiétés de l’athéisme allemand. Qu’est-ce donc alors ? Veut-il rappeler, sans aucune interprétation illicite, la plus ancienne des idylles, l’idylle mâle et grandiose de nos premiers parens ? Est-ce Milton qui l’inspire ? Un tel rapprochement serait dangereux, et je ne pense pas que l’auteur y ait songé. Je voudrais être sûr que M. Hartmann en choisissant ce titre bizarre, n’a pas eu le vague désir de plaire aux critiques hégéliens et de leur suggérer des commentaires de son poème dans le sens que j’indiquais tout à l’heure. Qui sait ? Sans avoir, par la direction de son esprit, aucun lien avec cette fatale école, M. Hartmann ne serait peut-être pas fâché qu’on attribuât à sa gracieuse composition une visée plus hardie, une portée plus haute et plus profonde, il ne lui déplairait pas qu’on trouvât le texte d’une interprétation révolutionnaire. Ainsi la passion politique du poète éclaterait encore au moment où il quitte les tumultueuses arènes. Qu’on ne me reproche pas ici une critique trop minutieuse ; ce n’est pas moi qui m’attache à ce détail, M. Hartmann lui-même y apporte la plus singulière insistance. Les titres de chaque chant renouvellent avec une intention manifeste l’étonnement du lecteur : la Création, le Paradis, le Serpent, l’Arbre de science, l’Arbre de vie, Il sera ton maître, Sortie du Paradis, voilà les sept parties, les sept chants de cette étrange pastorale. Décidément est-ce une fantaisie ? est-ce une ruse ? Ruse ou fantaisie, je ne puis m’empêcher d’y voir surtout une puérilité, bien peu digne assurément d’un talent si bien doué.

La scène est dans le pays natal de l’auteur, au milieu des forêts de la Bohême. Nous sommes en 1813. L’Europe est coalisée contre Napoléon, et du fond de la Russie, des bords du Don et du Dniéper accourent les hordes sauvages qui vont se jeter sur la France. Redoutables auxiliaires pour les populations allemandes ! Mieux vaudrait l’ennemi que de pareils alliés. L’effroi est partout dans les champs ; le mari tremble pour sa compagne, le père pour sa fille, le fermier pour le prix de ses sueurs. Vous savez, dit le poète que les Cosaques sont communistes à la façon de M. Cabet. Le petit village de Wiesenthal, le lieu le plus doux et le plus patriarcal dans cette verte Bohême, si éloignée des bruits de l’Europe, est en proie à de sinistres inquiétudes. Quel mouvement de tous côtés ! quelle épouvante sur tous les visages ! Voici les Russes qui s’approchent. Le moins effrayé, ce n’est pas le vieux Thomas, car il a une fille de seize ans, belle, naïve et plus pure que la neige nouvelle. — Laissera-t-il la douce Eva exposée aux regards de convoitise de ces bandits ? Permettra-t-il que ses yeux soient attristés par des tableaux grossiers, ses oreilles souillées par des propos