Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Seigneurs cavaliers, cria enfin l’être mystérieux qui se cachait dans l’ombre, ayez pitié de moi, sauvez-moi ! Il est mort ! je suis libre ! Ah ! ma mère, ma mère !…

L’officier avait mis pied à terre ; il sentit autour de son cou les deux bras d’une jeune fille qui s’accrochait à lui en répétant : Sauvez-moi, il est mort ! — Nous avions fait halte. — C’est la baylarina, disaient les miliciens ; elle nous retient ici pour donner aux siens le temps de revenir. C’est la femme du gaucho malo !

— Je suis Pepa Flores, cria vivement l’inconnue, la fille de doña Ventura de la esquina ! Ah ! seigneurs cavaliers, vous êtes des gens honnêtes, vous ! Jamais, jamais je n’ai été la femme de Fernando… N’y a-t-il donc personne parmi vous qui ait connu doña Ventura ?

Pendant que Pepa s’exprimait ainsi, le son de sa voix me revenait à l’esprit. — Elle a dit vrai ! m’écriai-je ; je réponds d’elle. Viens, Pepita, tu n’auras rien à craindre avec nous.

La pauvre enfant était si faible et si émue, que nous dûmes camper à quelques lieues de là pour lui laisser prendre un peu de repos.


IV.

Fernando avait péri dans le combat ; peut-être avais-je tué moi-même ce petit muletier devenu un redoutable bandit, et délivré de ma main la Pepita. Le hasard aurait ainsi fait de moi un héros. Mû par un sentiment de pitié, j’avais pris la jeune fille sous ma protection, et cette générosité me causait un certain embarras. Quand elle sut qu’elle n’avait plus de mère, — il me fallut lui apprendre moi-même cette fatale nouvelle qui s’était répandue dans le pays, — Pepa versa un torrent de larmes, et me supplia de l’emmener avec moi. Fugitif et proscrit comme je l’étais, j’avais assez à faire de me sauver seul ; mais comment résister aux supplications d’une orpheline qui ne comptait plus sur la terre ni parens ni amis ? Tant que la compagnie de miliciens marcha réunie, Pepa ne me gênait guère : chacun de mes compagnons était pour elle un frère d’armes. Nous nous intéressions tous à ses malheurs ; elle nous paraissait d’autant plus digne de pitié, que nous nous trouvions dans une situation assez précaire et hors d’état de lui assurer une sécurité complète. D’un camp de bandits, elle était tombée au milieu d’une poignée de soldats vaincus, de citoyens proscrits. Elle semblait n’y pas prendre garde, et nous suivait à cheval. Ce n’était plus l’indolente Pepita, au regard doux et voilé, qui semblait sommeiller sous l’aile de sa mère ; elle se montrait vive, alerte, courageuse, et s’efforçait surtout de ne m’être à charge en aucune façon. Loin de là ; durant les haltes, elle m’accablait de prévenances, de mille petits soins qui me touchaient profondément. Elle m’appelait son libérateur,