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à armes égales ; mais la surprise et l’effroi paralysaient ses forces. Après l’avoir égorgé de sang-froid, Fernando passa une corde autour de son cou, et, comme son rival respirait encore, il le traîna jusqu’au bord d’un ruisseau, où il le jeta tout sanglant. Des nuages de fumée s’élevaient à l’horizon ; les flammes dévoraient les herbes de la plaine avec un sourd murmure. Avant que l’incendie eût atteint les chariots, les gauchos s’étaient empressés de les mettre au pillage ; leurs hurlemens de triomphe se mêlaient aux crépitemens de la flamme, aux mugissemens des bœufs épouvantés que les conducteurs à cheval chassaient devant eux. Armés comme ils l’étaient, les bouviers auraient pu résister aux bandits et les mettre en fuite. Il leur avait paru plus simple de se joindre à eux, plus prudent de ne pas exposer leur existence pour sauver la fortune d’autrui, et plus lucratif de partager les dépouilles après une victoire à laquelle ils s’associaient. Une fois arrivés hors de la portée de la flamme qui venait expirer sur les bords du ruisseau dont Perez, le matin même, avait cherché à reconnaître le passage, ils rassemblèrent le butin pour se le partager. Quant aux bœufs, ils les abattirent à coups de carabine ; ces malheureux animaux respiraient encore que ces vauriens allâmes taillaient dans leurs chairs pantelantes des morceaux à leur goût. Chacun d’eux se régala selon la puissance de son appétit, et abandonna aux oiseaux de proie les restes de ces patientes bêtes qui, quelques heures auparavant, traînaient courageusement, à travers l’interminable plaine, les quinze chariots de Gil Perez.

Fernando reparut bientôt au milieu des charretiers réunis aux gauchos ; aucune voix ne s’éleva, même parmi les bouviers, pour lui demander ce qu’il avait fait de leur chef. Les gens engagés au service de Gil Perez n’avaient pas tous consenti à sa mort, ils se fussent même défendus, s’il eût été là pour les commander ; mais, en l’absence de leur patron, la contagion du mauvais exemple les gagna : ils se mirent à hurler avec les loups. — Mes amis, leur dit Fernando, qui m’aime me suive ! qui veut s’éloigner en est libre. Ceux qui n’ont pas de chevaux peuvent monter en croupe derrière les cavaliers. Je promets de les conduire à une poste où ils trouveront des montures de premier choix.


III.

En proie à de continuelles alarmes, l’intendant de la maison de poste, le vieux Torribio, se portait dans toutes les directions, épiant l’ennemi. Il espérait le voir venir d’assez loin pour que les deux dames et le petit Juancito eussent le temps de fuir. Un soir, il crut entendre des voix d’hommes dans la forêt. Les chiens n’aboyaient pas ; mais l’habitude qu’ils ont de se nourrir de viande crue dans ces contrées