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concertée entre les chefs des colonnes ennemies. Une fois qu’il était parvenu à mettre ainsi de la confusion dans les mouvemens de ses adversaires, Zumalacarregui exécutait une de ces marches de nuit que des Navarrais seuls peuvent faire, et qui le portaient souvent à quinze lieues de l’endroit où il avait été vu la veille. C’est alors que les garnisons surprises tombaient en son pouvoir, que Vittoria épouvantée se barricadait dans ses rues envahies ; c’est alors que les riches villages de l’Ebre, qui pouvaient se croire hors d’atteinte, voyaient leurs greniers pris d’assaut par un ennemi venu on ne savait d’où.

Bientôt les christinos furent si bien démoralisés par les changemens à vue qu’opérait le chef carliste, que, lorsqu’ils remportaient sur lui un avantage, ils n’osaient jamais profiter de la victoire en le poursuivant dans sa retraite, dans la crainte où ils étaient que cette retraite ne fût une embûche ou un stratagème préparé. Il faut dire aussi que Zumalacarregui fut merveilleusement aidé contre ses adversaires par une population dont chaque membre était un espion et un messager. Il y avait dans tous les villages une véritable conscription de messagers : chacun devait partir à son tour lorsqu’une dépêche arrivait. Le transport de ces dépêches, venant du camp carliste ou y allant se faisait ainsi de village en village avec une rapidité merveilleuse. Zumalacarregui était toujours averti à temps des mouvemens de l’ennemi, et il était sûr que les ordres qu’il avait à transmettre au loin arriveraient à propos et fidèlement. Il n’y a pas d’exemple qu’un seul de ces messagers volontaires ait trahi. Un fait prouvera jusqu’à quel point allait cette obéissance fidèle des contrées insurgées. Zumalacarregui fit une circulaire aux municipalités, par laquelle il défendait, sous peine de mort, de donner aucun avis, soit verbal, soit écrit, aux christinos. Tout individu aux mains de qui tomberait cette circulaire était tenu de la signer pour prouver qu’il en assumait la responsabilité. Eh bien ! cette circulaire passa dans tous les villages occupés par les christinos ; elle pénétra même dans le Haut-Aragon et elle revint, au mains de Zumalacarregui couverte de signatures. Aucun n’avait refusé cette responsabilité qui pouvait le perdre, et personne ne s’était rencontré pour livrer à l’ennemi ceux qui avaient signé.

Ainsi, le chef carliste savait toujours où trouver ses ennemis tandis que ceux-ci étaient dans une ignorance complète à son égard. Il pouvait même pénétrer souvent dans leurs desseins par l’interception de leurs dépêches. Ces dépêches, en effet, tombaient presque toujours dans ses mains, soit qu’elles lui fussent livrées par les messagers même des christinos, soit qu’elles fussent interceptées par les aduaneros qu’il avait répandus dans le pays par partidas de douze ou quinze hommes. Ces aduaneros ne rendirent pas seulement à Zamalacarregui le service de bloquer les villages occupés par les christinos et de surveiller la