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leur opposition. Des hommes comme M. Lebeau, comme M. Devaux, poussés par des craintes exagérées pour le sort de l’armée belge, leur ont prêté le secours d’une alliance sur laquelle ils ne devaient point compter. M. Rogier a heureusement combattu cette scission, qui menaçait de rompre, à propos du budget d’un ministère, l’union si essentielle du parti libéral ; 55 voix contre 31 ont répondu à la question de confiance posée en faveur du cabinet par l’honorable président de la chambre, M. Verhaegen.

Nous sommes très convaincus que la sécurité nationale de la Belgique n’a rien à craindre, même des secousses les plus graves qui puissent se préparer en Europe ; il n’en est pas moins très naturel qu’elle tienne à garder en main « tous les élémens de cette sécurité, » selon l’expression même du roi. C’est le sentiment le plus vif chez un peuple qui a pris récemment encore possession de lui-même. La majorité des représentans belges a cependant très bien compris que l’indépendance du pays ne tenait point à dépenser pour l’armée 5 millions de plus ou de moins. C’est l’honneur du peuple belge d’avoir acquis sa forte consistance nonobstant ses faibles ressources, et d’avoir remplacé par la tenue de son caractère le développement matériel qui lui manquait. C’est par la pratique sérieuse des libertés qu’elle a su conserver sages, que la Belgique se rend de jour en jour plus respectable aux yeux de l’Europe. Il serait bien étonnant qu’à mesure qu’elle jouira davantage de cette considération, elle n’en vînt pas à proscrire d’elle-même le brigandage mercantile qui compromet toute son originalité native. Le triste privilège de la contrefaçon littéraire est toujours le mauvais côté de sa situation internationale ; il ne faut point cesser de le lui répéter. Nous savons d’ailleurs qu’il se fait un mouvement sensible dans l’opinion même du pays, qu’il s’y élève une sorte de point d’honneur contre cette industrie coupable. Un gouvernement libéral doit compter comme une bonne fortune l’occasion qui lui serait ainsi fournie d’effacer le mauvais vernis que cette industrie, plus isolée qu’elle ne prétend l’être, jette sur la nation. Il serait curieux de voir si l’opposition, qui se fait arme de tout contre le ministère, oserait défendre les contrefacteurs au nom du principe religieux et de l’ordre social.

Nous avons cependant le regret d’apprendre, et de très bonne source, que la légation belge, animée sans doute d’un autre esprit que celui du principal ministre de la Belgique, s’est donné beaucoup de mouvement à Turin pour faire repousser par les chambres piémontaises les traités qui viennent enfin d’être votés entre le Piémont et la France. Le traité de commerce a été approuvé par 109 voix contre 34 ; le traité spécial sur la propriété littéraire, par 99 contre 43. Les intéressés et leurs ayant-cause avaient agi très vigoureusement auprès de beaucoup de pairs et de députés. Les raisons purement politiques étaient aussi intervenues dans le débat. L’extrême droite et l’extrême gauche se sont unies dans une aversion commune, quoique bien différemment motivée, pour tout rapprochement plus étroit avec la France. M. de Cavour et M. d’Azeglio ont noblement défendu l’œuvre de leur diplomatie ; ils en ont fait une question de cabinet, déclarant qu’ils se retireraient tous les deux, si les transactions conclues sous leurs auspices n’étaient point approuvées. Ils ont soutenu avec raison que ces transactions étaient pour le Piémont les meilleurs possible, et ils en ont montré hardiment le grand côté politique. « Le Piémont, comme