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suite, et le gouvernement a dû mettre le général Chazal en disponibilité, Naguère encore, ministre de la guerre, il avait été obligé de renoncer à son portefeuille à cause d’un conflit qu’il avait eu avec la garde civique. Son successeur, le général Brialmont, devait être l’auteur de la difficulté au bout de laquelle le roi Léopold vient d’accepter sa démission. Voici, en deux mots, cette difficulté grossie démesurément par l’opposition acharnée que le gouvernement libéral, qui a si sagement conduit la Belgique au milieu des révolutions européenne, rencontre cependant à chaque pas dans un parti qui se déclare le champion exclusif de l’ordre et de la religion. Une loi de 1845 voulait qu’on portât à 30 millions de francs le budget de l’armée belge, Cette dépense pouvait sembler excessive et l’était si réellement, qu’on n’avait jamais atteint le chiffre de 1845 ; dans des vues d’économie dont on a inutilement combattu l’opportunité, on espérait même arriver à réduire le chiffre actuel, qui était de près de 27 millions, au chiffre normal de 25. C’était avec cette perspective que M. Rogier avait offert le portefeuille de la guerre au général Brialmont, qui l’avait accepté en promettant de travailler à la réduction de son budget, pourvu que la réduction fût dans les limites du possible. Le général Brialmont ouvrit donc la discussion de ce budget par une déclaration qui était l’œuvre commune de tout le ministère. Cette déclaration annonçait qu’on allait « examiner tout l’ensemble de l’établissement militaire en s’entourant d’une commission composée d’hommes éclairés et impartiaux. » Cette commission aurait fourni les renseignemens nécessaires pour arriver, si l’on pouvait, à borner les dépenses de l’armée aux 25 millions avec lesquels on espérait y suffire.

La droite, le parti clérical, puisque c’est ainsi qu’il les faut nommer même dans un débat de chiffres sur une question d’armement, la minorité catholique s’est jetée à la traverse. Elle a employé dans une matière si spéciale l’arsenal ordinaire de sa controverse. Elle a accusé le ministère de vouloir achever la démoralisation du pays en désorganisant la force militaire. On a trouvé moyen de parler par à-propos contre la presse, contre les chemins de fer, contre les progrès, contre les lumières ; on a déclaré avec une ironie hautaine qu’il fallait effacer le noble lion de l’écusson belge pour le remplacer par un wagon. On s’est porté avec tout le bruit possible à la défense de l’honneur national, de la sécurité nationale, qui n’étaient guère en cause. C’est sur ces entrefaites qu’après le trouble occasionné par la violence du général Chazal, le général Brialmont a cru devoir abandonner ses collègues. Il avait d’abord accepté pour son budget l’idée d’une commission chargée de vérifier jusqu’à quel point on pourrait descendre à ce chiffre contesté de 25 millions ; il voulait maintenant tout d’un coup que cette commission prît, au contraire, pour base le maintien de la loi de 1845 et son chiffre impératif de 30 millions. Cette dissidence, qui éclatait en pleine chambre, brisait ouvertement le ministère. Le roi l’a reconstitué en chargeant M. Rogier de l’intérim de la guerre à la place du général Brialmont, passé si soudainement au service de la minorité. Le roi Léopold saisissait cette occasion pour témoigner sa confiance envers M. Rogier par une lettre publique qui doit compter comme un titre d’honneur dans la carrière du ministre belge. La discussion a repris alors ; elle aura duré ainsi plus de dix jours. Les orateurs du parti catholique, M. Malou, M. Dechamps, M. de Mérode, ont donné chacun selon sa mesure, mais, tous avec ce fonds d’âpreté qui distingue