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Fallait-il donc se plaindre si amèrement qu’on affectât des allures illégales ; de suprématie, quand on leur accordait soi-même l’éclatante consécration de ces égards inconstitutionnels ? Mais quoi ! s’écriera-t-on, fallait-il plutôt en appeler à une révolution pour effacer cette injure que nous avions subie ? Ce qu’il ne fallait pas, c’était de révéler une situation telle qu’il n’y eut de recours, pour venger votre injure, que dans une révolution qu’il vous est interdit de faire, parce que vous êtes d’honnêtes gens.

Cette situation eût été bien moins compromise, si au brusque renvoi du général Changarnier par le pouvoir exécutif l’assemblée nationale froidement, solennellement, eût opposé quelque témoignage formel de la reconnaissance et de l’estime qu’elle vouait à son glorieux capitaine. Les choses fussent restées en l’état, et ce coup, qui n’amenait point même l’excitation d’une riposte, fut aussitôt retombé sur qui de droit, parce que le jugement de l’opinion publique n’aurait point été trop vite distrait par des représailles sans efficacité. Ainsi le voulaient quelques gens de bon conseil ; par malheur, ce ne sont point toujours ceux qui font la loi. Du moment où l’on eut décidé d’aboutir à quelque chose en grand appareil, on ne pouvait plus avoir tout-à-fait perdu son temps pour rien. Du moment où l’on s’imposait l’obligation de publier ce qu’on pensait de l’acte présidentiel, force était bien de ne pas s’en montrer content, puisqu’il n’y avait pas de quoi l’être.

Ce que le président avait à produire de meilleur pour sa défense, c’est qu’il ne voulait plus de l’anomalie d’un troisième pouvoir dans l’état ; mais qu’est-ce donc, comme on l’a si bien dit à M. Baroche, dont ce n’était pas la faute, qu’est-ce qu’une anomalie de plus au milieu de tant d’autres ? Oui, rien de plus simple à concevoir, le voisinage du général Changarnier était un rude voisinage. On avait beau dire, sous toutes les formes, que l’on ne conspirait point ; le dire sincèrement, personne n’a le droit d’en douter ; il pouvait sembler cependant que, si la conspiration ne levait point la tête, c’est que le général veillait. On s’est lassé de cette sentinelle, dont l’assiduité impliquait une garantie pour tous ceux qu’on avait eu le chagrin de ne point convaincre par la seule garantie de sa parole. On s’est délivré à tout prix, durement, parce que la mauvaise humeur ne calcule pas comme l’ambition. On n’a pourtant pas le droit, quand on est au milieu de circonstances aussi critiques que les nôtres, de pourvoir à ses commodités en risquant le nécessaire, le sien et celui de tout le monde. La commodité du président, c’était d’être débarrassé du troisième pouvoir ; le nécessaire, c’était de laisser debout ce troisième pouvoir, même devant soi, puisqu’on n’en avait que l’impatience et non point la peur, pour le laisser aussi devant la démagogie parisienne, dont il était devenu l’épouvantail. Le président a sacrifié le nécessaire et donné cette grande joie aux anarchistes pour se donner à lui un médiocre soulagement. Voilà sur quoi devait porter le vote parlementaire, ce vote qu’il eût fallu néanmoins retenir, puisque, pour tant oser, on n’atteignait que M. Baroche ou même M. Vaudrey.

La sentence a donc passé, mais à quelles conditions, et combien on l’a payé cher : M. Jules de Lasteyrie a fait un discours ardent, incisif ; M. Thiers, a fait son grand discours ! — Et le lendemain ? Le lendemain, de même que le président de la république, pour se dédommager des ennuis que lui causait la compagnie du général Changarnier, avait procuré aux factions le plaisir de le voir congédié,