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Il ne manque pas de gens pour lui souhaiter malheur ; nous le répétons jusqu’au bout, ce serait là le malheur universel, le malheur définitif. Les libertés parlementaires ont leurs inconvéniens ; les autocraties n’ont-elles que des mérites ? On célèbre beaucoup le bonheur dont on jouit sous les autocrates ; au fond, l’on serait très embarrassé d’être seulement en demeure de se le procurer. On ne réussit qu’à dénigrer le gouvernement qu’on a l’on n’est point capable de fonder le gouvernement qu’on vante. Ces dénigremens aboutissent en somme à répandre dans tout le corps politique un sentiment de malaise et d’impuissance qui le dissout. Où sera le bénéfice de cette dissolution générale ? Nous comprenons que le parlement supporte mal cette défaveur dont l’esprit changeant du pays semble s’apprêter à le poursuivre ; nous comprenons qu’il s’irrite des injures auxquelles il est en butte, des agressions systématiques qui l’assaillent du dehors. Il serait cependant déplorable que cette irritation tint trop de place dans toute sa conduite, qu’elle ajoutât aux fautes inévitables des grandes assemblées je ne sais quel vertige d’où sortent coup sur coup des fautes nouvelles. Encore une fois, que le parlement marche et ne s’agite pas ! il aura raison de ses adversaires, et ceux qui demeurent attachés par goût et par culte aux institutions représentatives seront plus à l’aise pour les défendre avec lui.

Sous la réserve des observations qui précèdent, suivons maintenant les vicissitudes encore si mobiles par lesquelles nous avons passé durant cette quinzaine. Aujourd’hui que la crise est un peu détendue, profitons de cet intervalle de répit pour résumer avec quelque sang-froid les alternatives d’une lutte qui va peut-être recommencer demain. Le rapporteur de la commission chargée d’aviser aux mesures à prendre sur le fait de la destitution du général Changarnier, M. Lanjuinais, proposait à l’assemblée de voter un ordre du jour qui contenait deux points, l’éloge du général, le blâme du ministère. L’ordre du jour, en ne s’adressant qu’au ministère, avait donc la précaution d’écarter du procès l’une des deux responsabilités qui s’y trouvaient engagées ensemble de par la constitution, celle qui eût trop grossi le procès lui-même, si on ne l’eût mise tout de suite hors de cause : la responsabilité du président. Il y avait évidemment là une intention prudente et conciliante ; mais, puisqu’on visait à la prudence, c’était bien le cas d’y viser en plein et de n’en point prendre à demi. La pleine prudence ne consistait pas à s’attaquer très expressément à son plus faible et plus innocent adversaire, comme pour que personne n’ignorât qu’il n’eût point été sage d’aborder l’autre. S’il n’était pas sage d’en venir aux prises tout de bon avec celui-là, l’était-il plus de se donner l’air de vouloir l’atteindre par-dessus la tête du plus petit ? Qui relevait-on par cette déférence mal déguisée sous un biais ? Et si la déférence était forcée, si mille et mille motifs qu’il n’est pas besoin d’énumérer, motifs de patriotisme, de bon sens, de bonne politique, la rendaient obligatoire, la belle malice d’en informer le public, de lui apprendre en toute cérémonie par cet adroit stratagème qu’en l’état actuel de la république française, le pouvoir exécutif, à qui la constitution ne donne point, comme on sait, d’indépendance, ayant néanmoins blessé le pouvoir législatif, qui est le vrai selon la constitution, celui-ci jugeait essentiel d’admettre son émule ou plutôt son justiciable à ne comparaître devant lui que par procureur, mieux encore à ne recevoir d’étrivières, s’il y en avait à recevoir, que sur le dos d’un autre !