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patois, tandis que la langue d’oc, qui n’a guère changé depuis le XIVe siècle, a gardé jusqu’à ce jour son caractère littéraire. Le basque et le breton, superposés aux idiomes d’origine gallo-romaine, forment dans le vocabulaire général des interpolations philologiques fort curieuses à étudier en ce qu’elles sont l’expression la plus complète et la plus vivante de l’originalité de deux races primitives, comme l’alsacien et le flamand sont l’expression de deux races étrangères juxtaposées par la conquête. Les principales questions qui se rattachent aux caractères divers des langues et des idiomes de la France sont très bien traitées dans l’Histoire des Villes, et, en lisant ce qui se rapporte à cet intéressant sujet, nous nous sommes étonné que personne encore n’ait songé jusqu’ici à doter le pays d’un dictionnaire polyglotte. Cette lacune est d’autant plus regrettable que les élémens du travail sont tout préparés dans une foule de publications locales.

Que conclure de ces recherches que les provinces de France ont entreprises sur leur propre histoire, et qu’elles poursuivent avec tant d’ardeur depuis quelques années ? C’est que ce précepte de la philosophie antique : — Connais-toi toi-même, s’applique aux peuples aussi bien qu’aux individus, et que les peuples, pour se connaître, n’ont que deux instrumens, l’histoire et la statistique dans ses rapports avec la politique et l’économie sociale. C’est de ce côté que doivent aujourd’hui se tourner les esprits sérieux qui veulent sincèrement le bien général. Depuis tantôt vingt ans, nous vivons sur des utopies et des systèmes ; nous nous enivrons avec des mots, nous nous créons un idéal qu’il est impossible d’atteindre dans ce monde. Pourquoi ? Parce que nous ne nous connaissons pas. Hommes politiques, au lieu de prendre les hommes pour ce qu’ils sont, nous les rêvons tels que nous voudrions qu’ils fussent, tels aussi qu’ils ne seront jamais ; dans notre impatience de gloire ou de popularité, nous n’attendons, pour dogmatiser, ni l’expérience de la vie ni l’expérience des affaires, et nous bâtissons sur le sable, parce que nous ne sondons pas le terrain. Écrivains, nous nous adressons toujours aux passions au lieu de nous adresser à la raison, nous cherchons le bruit au lieu de chercher le bien, nous spéculons sur le faux pour attirer la foule et nous faire applaudir en lui présentant des paysans ou des ouvriers fantastiques, qui ne sont pas plus vrais que les bergers de M. de Florian ou les Romains de Mlle de Scudéry. Nous préludons aux révolutions par des idylles, à la guerre sociale par des romans ; nous agitons le pays, parce que nous lui prêtons le plus souvent des aspirations qui ne sont pas les siennes, et que nous méconnaissons ses véritables instincts, ses véritables besoins. Il est temps de rentrer dans les faits et les choses, de donner aux études un but pratique, et d’appliquer aux réalités ces forces vives de l’intelligence qui se perdent dans les vaines abstractions ou dans les recherches laborieuses d’une curiosité stérile. C’est aux provinces de prendre l’initiative elles renferment assez d’hommes éclairés pour comprendre l’importance de travaux d’histoire, de statistique, d’économie sociale, qui seraient entrepris à la fois sur tous les points du territoire, dans une pensée commune et d’après un programme uniforme ; elles renferment aussi assez d’hommes dévoués pour conduire ces travaux à bonne fin.


Charles Louandre.