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un essor nouveau. D’immenses matériaux furent rassemblés de toutes parts ; on dépouilla les archives des villes, des églises, des couvens, et, comme le dit avec raison l’auteur d’une intéressante publication sur les Villes de France, M. Guilbert, l’histoire provinciale comptait, grace aux bénédictins, plusieurs chefs-d’œuvre un siècle avant que nous eussions une bonne histoire générale de la monarchie. De 1710 à 1740 environ, on vit paraître sur Paris, la Bourgogne, la Bretagne, la Lorraine, le Languedoc, etc., les travaux de l’abbé Leboeuf, de dom Plancher, de dom Morice, de dom Lobineau, de dom Vaissette, de dom Calmet, travaux d’un prix inestimable, que rehausse encore la sainte modestie des auteurs, et dans lesquels ces hommes calmes et graves ont mis toute leur science, tout leur amour, toute leur vie. C’est de ce côté surtout, et parmi les érudits de l’école religieuse, qu’il faut chercher, au XVIIIe siècle, les productions remarquables de l’histoire des villes et des provinces, car tout ce qui procède en ce genre de l’école philosophique est d’une faiblesse désespérante, principalement dans les dernières années du siècle.

La révolution et l’empire ne présentent rien d’important. La véritable érudition à cette date est détrônée par les études celtiques. L’Académie celtique prend sous son protectorat toutes les rêveries abandonnées depuis le XVIe siècle, et publie des mémoires géographiques sur des villes qui n’ont jamais existé et des dissertations philologiques sur des langues qui n’existent plus ; mais, à la restauration, la curiosité s’éveille sur tous les points. La vieille France renaît avec la vieille monarchie. Une école niaisement admirative, romantique et ignorante se constitue pour réhabiliter ce passé dont la tourmente révolutionnaire a dispersé les débris. Les bonnes villes font redorer leurs blasons, et la Gaule poétique de Marchangy reflète ses enluminures sur les monographies locales. Bientôt cependant en face de l’école monarchique, dans l’histoire générale comme dans les histoires particulières, il se forme une école nouvelle, celle de l’opposition. D’un côté, tout est sacrifié à la royauté, à la chevalerie, à l’église ; de l’autre, tout est sacrifié à la bourgeoisie, et l’exagération mène parfois les deux camps à l’injustice. La lutte se continue ainsi pendant plusieurs années, jusqu’au moment où surgit une troisième école qui sacrifie à la démocratie, par une exagération nouvelle, la noblesse, le clergé et la bourgeoisie, comme si la démocratie et la royauté, la bourgeoisie et la noblesse, n’avaient pas eu chacune à son heure, tour à tour ou simultanément, leur grandeur, leur patriotisme, leurs égaremens et leurs vertus.

Aujourd’hui même, les trois écoles sont encore en présence, et la surexcitation produite par les événemens de ces dernières années n’a fait que leur donner une ardeur nouvelle. Les poètes inconnus qui tourbillonnaient, il y a tantôt dix ans, comme des volées d’oiseaux en gazouillant des vers, ont enterré leurs rêves de gloire dans la même fosse que leurs volumes et leur jeunesse. Les romanciers ont perdu leur public et baissé leur tarif, la brochure a tué le livre ; le journal a tué la brochure ; la politique, aidée par le timbre, a quelquefois tué le journal. Une réaction très vive s’est faite dans les esprits contre le désordre aventureux de notre littérature contemporaine, mais en même temps, et comme conséquence inévitable, le scepticisme et l’atonie ont gagné peu à peu les hautes régions, et l’inspiration a replié ses ailes. Seule au milieu de cette prostration universelle, l’histoire, et surtout l’histoire locale ainsi que ses diverses branches, l’archéologie, la numismatique, la statistique,