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de désordre, au sein du peuple le plus paresseux, j’en conviens, mais le plus inoffensif, le plus hospitalier, le plus gouvernable qui soit au monde.

À la dernière extrémité enfin, la France n’aurait qu’à faire valoir ici son droit spécial de créancière. Aux termes des traités, les rares miettes de la misérable indemnité stipulée pour nos anciens colons sont prélevées sur les recettes d’importation. Or, depuis que Soulouque a mis les piquets de moitié dans le gouvernement, le commerce et par suite les recettes d’importation ont éprouvé une réduction telle qu’il nous est déjà dû, sur les annuités 1849 et 1850, un arriéré de 1 million et demi de francs. Après avoir consenti à une réduction énorme de cette dette, qui cependant représentait à peine à l’origine une année du revenu des propriétaires spoliés ; après avoir patiemment supporté les violations les plus exorbitantes de l’engagement souscrit, après avoir accordé de nous-mêmes délais sur délais, il nous serait bien permis, ce semble, d’exiger que les causes purement factices auxquelles sont dus les nouveaux arriérés disparaissent, et que la honteuse influence qui achève de tarir les ressources du gouvernement débiteur soit écartée. Nous avons pu sacrifier pendant plus de vingt ans des intérêts sacrés au désir de ne pas entraver le libre développement de l’essai de civilisation noire qui s’accomplissait dans l’ancien Saint-Domingue ; mais ce ne serait là qu’une raison de plus de renoncer à des ménagemens qui, dans les circonstances actuelles, ne serviraient qu’à y perpétuer la barbarie.


X. — SOULOUQUE CONQUERANT. — UN PROCES DE SORCELLERIE. — L’EMPIRE ET LA COUR IMPERIALE.

Reprenons la suite des événemens par lesquels Haïti s’est acheminé vers l’ère des Faustins. L’empire suppose un Marengo, et Soulouque, qui se pique, on l’a vu, de suivre nos modes, voulut avoir son Marengo. Les Dominicains, les mulâtres rebelles, comme il les nomme, devaient faire les frais de la chose, et c’était un coup double, car, par la même occasion, Soulouque allait achever de se débarrasser des mulâtres non rebelles, dont il avait enrôlé le plus grand nombre possible avec l’intention de les exposer au premier feu. Depuis six ans que la partie espagnole s’était déclarée indépendante, ces sortes d’expéditions étaient le signal des conspirations et des révolutions haïtiennes ; mais Soulouque y avait mis bon ordre, emmenant comme toujours, en guise d’otages, les innombrables généraux qu’il soupçonnait de viser plus ou moins à sa succession. Quant à Similien et aux piquets, l’un était resté, comme je l’ai dit, aux arrêts sous la surveillance du nouveau favori Bellegarde, et les autres, pris au dépourvu par le trépas violent