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Et, dans les traits cités de cet esprit charmant,
Remarquez en passant l’histoire d’Agatharque,
Dont le livre, à mon goût, parle trop sobrement.


II


Or ce peintre Agatharque, — en un jour de boutade, -
Refusa sottement, je ne sais trop pourquoi,
De peindre le boudoir du noble Alcibiade.
On l’eût payé pourtant de la rançon d’un roi.
Notre héros avait une ame peu commune,
Il fatiguait sa vie à suivre ses plaisirs ;
Habitué de vaincre, il brusquait la fortune,
S’il la trouvait parfois rebelle à ses désirs.
Un jour, il s’avisa d’enfermer Agatharque
Dans son boudoir. Le fait est sûr. Comme il s’y prit ?…
Voilà précisément ce qu’ignore Plutarque ;
Mais tenez pour certain qu’il y mit de l’esprit.

« Mon hôte, lui dit-il, cette maison est tienne :
« Mon cuisinier, mon or, mon cellier copieux,
« Il n’est en mon pouvoir rien qui ne t’appartienne.
« Ces murs inviteront ton pinceau glorieux ;
« Choisis mes meilleurs vins pour exciter ta verve,
« Et si les dieux amis fécondent ton loisir,
« Si tu prêtes l’oreille aux conseils de Minerve,
« Je ferai ton bonheur égal à ton désir. »

Lorsque le dîner vint, porté par des esclaves,
Alcibiade tint ce qu’il avait promis :
Il avait envoyé les meilleurs vins des caves
Et les mets réservés à ses plus chers amis :
Le sanglier fumé venu de Thessalie,
Les quartiers des moutons engraissés au Parnès,
Des raisins de Corinthe et des fruits d’Italie,
Des candélabres d’or donnés par Périclès,
La coupe où rit Bacchus rose comme l’aurore,
 Le miel du Pentéli, les conserves d’Andros
Et le vin résiné dans une rouge amphore
Surchargeaient une table en marbre de Paros.
L’artiste regarda d’un œil morne et farouche
Les apprêts somptueux étalés devant lui :
Les mets de la prison auraient brûlé sa bouche…
Il s’assit dans un coin, dévorant son ennui ;