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Pour démontrer toute la frivolité de l’école qui depuis vingt ans prétend se modeler sur Shakspeare, sur Calderon, sur Schiller, sur Goethe, et dont les œuvres révèlent, sinon le dédain, du moins une connaissance très incomplète de ces beaux génies, il ne suffit pas de choisir Sedaine pour patron, c’est-à-dire de revenir à la nature ; il faut préparer des œuvres naïves avec un soin réfléchi, et ne pas livrer sa pensée à toutes les chances de l’improvisation. Pour ma part, je ne crains pas le reproche de flatterie en affirmant que l’auteur de Claudie peut faire beaucoup mieux. Doué d’une imagination féconde, en possession d’une langue harmonieuse et colorée, il saura, quand il le voudra, pourvu qu’il ne plaigne pas son temps, nous donner une œuvre plus fortement conçue, je veux dire conçue avec plus de prévoyance. Alors, mais alors seulement, il pourra lutter avec l’école qui, sous prétexte de peindre tous les temps et tous les pays, oublie trop souvent de peindre les sentimens humains, qui demande au machiniste, au décorateur, au costumier, la meilleure partie de ses succès. Oui, sans doute, cette école, applaudie avec tant de fracas, qui promettait de tout renouveler, a bien mal tenu ses promesses, les œuvres qu’elle a produites ne peuvent pas espérer une longue durée ; toutefois il faut reconnaître que, malgré sa puérilité, malgré son goût exclusif pour la splendeur du spectacle, pour la brusque succession des événemens, elle a donné à notre théâtre une franchise, une liberté qu’il n’avait pas au siècle dernier. Elle a méconnu l’homme en se vantant de ressusciter l’histoire, de l’interpréter : que les disciples de Sedaine, moins ambitieux dans leurs promesses, étudient l’homme, et nous le montrent tel qu’il est ; — c’est à ce prix seulement que l’école naïve obtiendra une attention sérieuse.

Si Claudie n’est pas le signal d’une réaction préméditée contre l’école qui a mis en honneur le placage historique, le succès de Claudie peut du moins servir d’encouragement à tous ceux qui voudront abandonner la parodie de Shakspeare et de Calderon pour l’analyse et la peinture des passions.. L’oeuvre nouvelle de George Sand, bien que défectueuse en plusieurs parties, a pourtant produit une émotion profonde ; la justesse, je pourrais dire la hardiesse de la donnée, ont suffi pour exciter la sympathie. Bien que l’auteur, emporté par un dédain très légitime pour les ruses du métier, ait négligé d’enchaîner, d’ordonner les divers momens de l’action selon les conditions de la poésie dramatique, cependant la foule, heureuse de se trouver en présence d’un monde nouveau, étonnée de voir et d’entendre des personnages qui marchaient librement, qui découvraient avec franchise le fond de leur pensée, qui obéissaient à leurs instincts sans se soucier de rappeler Hamlet ou le roi Lear, Richard III ou Mercutio, a suivi d’un exil attentif, d’une oreille inquiète le développement d’un poème rustique.