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l’attention. Je suis loin d’envisager la prévoyance comme une condition secondaire dans la composition d’un récit, depuis Manon Lescaut jusqu’à Ivanhoë, il n’y a pas de récit bien fait qui ne porte l’empreinte de la prévoyance ; mais, dans la poésie dramatique, cette condition est encore plus impérieuse : quel que soit le talent du poète ; le spectateur ne sera jamais aussi patient, aussi complaisant que le lecteur. L’auteur de Claudie ne l’ignore pas sans doute, pourtant il lui est arrivé plus d’une fois de se conduire comme s’il l’ignorait ; il mène à bout sa pensée, sans s’inquiéter de l’heure qui fuit, de la foule qui écoute et qui attend ; il redit ce qu’il a déjà dit plusieurs fois, comme si sa parole, au lieu de passer par la bouche des personnages, devait former les pages d’un livre. Ces fautes, faciles à découvrir, utiles à signaler, n’altèrent ni la vérité ni la grandeur des sentimens exprimés dans Claudie ; il est certain cependant que ces sentimens traduits dans une langue plus rapide, placés dans un cadre moins étendu, ou, pour parler plus exactement, développés d’une façon plus harmonieuse, c’est-à-dire chacun selon son importance, exerceraient sur la foule une action plus puissante et plus profonde. Tous les hors-d’œuvre que le goût voudrait effacer, qui font longueur pour les hommes du métier, attiédissent la sympathie de l’auditoire. Si l’auteur de Claudie, au lieu d’aborder le théâtre après une série de triomphes éclatans dans un autre genre de composition, eût débuté par la poésie dramatique, si son nom eût été un nom nouveau, il est probable que le public se fût montré plus sévère et eût écouté avec distraction, peut-être même avec impatience, les scènes inutiles ou développées outre mesure ; plein de respect pour un talent déjà tant de fois éprouvé, il a tout écouté en silence. Toutefois, bien qu’il semble avoir tout accepté, la réflexion ne perd pas ses droits, et je ne crois pas qu’il soit permis de louer Claudie sans restriction. Je rends pleine justice à la sérénité de la conception, à la vérité des sentimens, à l’élévation des pensées, et pourtant je vois dans Claudie une admirable ébauche plutôt qu’une œuvre achevée.

Faut-il voir dans le drame nouveau une protestation réfléchie contre le système dramatique inauguré en France il y a vingt ans ? Ce serait, à mes yeux, se méprendre étrangement sur le sens de Claudie. Grace à Dieu, l’auteur justement applaudi de tant de récits tour à tour ingénieux et pathétiques n’a donné à personne le droit de croire qu’il veuille renverser une école, élever une école nouvelle. Il se complaît dans la peinture de la vie rustique ; après nous avoir présenté cette peinture dans le roman, il a voulu nous l’offrir au théâtre. A-t-il pleinement réussi ? Si l’on ne consultait que les applaudissemens, il ne serait permis de conserver aucun doute à cet égard. Cependant, je ne