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mes yeux une tout autre valeur, si, au lieu de parler la langue de Jeux-les-Bois, ils parlaient la langue de tous. À quoi servent en effet ces locutions, que le public applaudit comme naïves ? Donnent-elles vraiment à la pensée plus de relief et d’évidence ! Serait-il impossible d’exprimer dans la langue qui se parle autour de nous les idées et les passions dont se compose le drame nouveau ? Une pareille thèse me semble difficile à soutenir ; c’est pourquoi je regrette que l’auteur de Claudie, habitué à traiter la poésie d’une manière simple et sévère, ait eu recours à ce prestige enfantin ; il faut laisser aux imaginations de second ordre l’emploi de ce moyen vulgaire. Les admirateurs enthousiastes, qui ne veulent prêter l’oreille à aucune objection, me répondront sans doute que le langage villageois était une nécessité dans Claudie aussi bien que dans le Champi, puisque tous les personnages sont de condition rustique. Cette réponse, à mon avis, ne détruit pas la valeur de mes reproches. Est-ce en effet au nom de la vérité absolue qu’on prétend louer comme souverainement belle, comme souverainement utile, cette langue que les badauds prennent pour le patois berrichon ? Le principe une fois posé, qu’on prenne la peine d’en déduire les conséquences : au nom de la vérité absolue, nous pouvons demain voir inaugurer sur la scène le patois de l’Auvergne, le patois de la Picardie, et bientôt, pour comprendre les œuvres conçues dans ce nouveau système, il faudra consulter des glossaires spéciaux. Vainement prétendrait-on que ces locutions provinciales ajoutent à la naïveté de la pensée ; c’est une pure illusion, qui ne résiste pas à cinq minutes d’examen ; il n’y a pas une idée, pas un sentiment, dans Claudie, qui ne trouve dans la langue écrite une expression docile et fidèle ; il est donc parfaitement inutile de recourir, pour les traduire, au patois berrichon.

Je sais bon gré à l’auteur d’avoir renoncé à remanier pour le théâtre des œuvres écrites sous forme de narration. Il ne s’est pas laissé aveugler par le succès très populaire et très légitime du Champi ; il a compris que le roman le plus heureusement conçu ne contient pas toujours les élémens d’une composition dramatique, et qu’il faut trop souvent, pour satisfaire aux conditions de la scène, sacrifier les parties les plus intéressantes du récit. Le Champi en effet, sous la forme dramatique, commence à la seconde moitié du roman, et la première moitié, que l’auteur a dû omettre, est précisément la plus neuve, la plus vraie, la plus émouvante. Il a donc très bien fait de créer Claudie de toutes pièces, au lieu de l’emprunter à quelqu’un de ses livres. Malgré la fécondité de son imagination, malgré son habileté à reproduire, sous des formes nouvelles, des idées déjà offertes au public, il a senti qu’il valait mieux, pour émouvoir et pour charmer, prendre