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dit aux assistans : « Qui de vous osera lui jeter la première pierre ? » pourquoi la parole du Christ impose-t-elle silence aux juges les plus sévères ? C’est que le Christ a le droit de pardonner, parce qu’il n’a de pardon à demander pour aucune faute. Eh bien ! la Grand’Rose a-t-elle ce droit ? Qui oserait le dire ? Riche, belle encore malgré son âge, courtisée, tendre à la fleurette, comment son indulgence fermerait-elle la bouche aux médisans ? Elle est trop directement intéressée dans la question pour que son pardon ait une grande valeur : c’est pourquoi la Grand’Rose est, à mes yeux, le personnage le plus défectueux, le moins complet, le moins vrai, le moins utile de la pièce. Jetons les yeux autour de nous : quand une femme a succombé, quand elle n’a pas su résister à l’entraînement de la passion, ne voyons-nous pas les femmes les plus pures douter d’abord de sa faute, et, lorsqu’elles n’en peuvent plus douter, lorsque l’évidence a dessillé leurs yeux, suspendre encore leur jugement, et, malgré la pureté constante de leur conduite, ne la condamner qu’en tremblant ? Elles n’ignorent pas la fragilité humaine, et, bien qu’elles aient résisté courageusement, elles n’osent lancer l’anathème à celle qui a failli : c’est à ces femmes sévères pour elles-mêmes, indulgentes pour autrui, qu’il fallait demander le type de la Grand’Rose.

La pièce débute heureusement. Nous sommes en pleine moisson, près de Jeux-les-Bois. Vers la fin du jour, les moissonneurs se réunissent sous le toit de la Grand’Rose, qui, selon l’usage du Berri, partage avec le père Fauveau, les fruits de son bien. La plus belle gerbe appartient au doyen des ouvriers, au père Remy : c’est une coutume universellement respectée dans le pays, une manière touchante de bénir la moisson accomplie et d’obtenir pour l’an prochain une moisson plus abondante. Chacun doit déposer son offrande sous la plus belle gerbe. Quand vient le tour de Denis Ronciat, le père Remy refuse fièrement son offrande, sans dire les motifs de son dédain ; puis, comme saisi de l’esprit prophétique, il exprime en paroles sévères, que Denis seul peut comprendre, son mépris pour les mauvais riches, qui abusent de la jeunesse et de la pauvreté pour satisfaire leurs brutales passions, qui se font un jeu de l’humiliation et du désespoir de leurs victimes. Son langage s’élève au-dessus de sa condition, la colère amène sur ses lèvres des paroles enflammées qui frappent son auditoire d’étonnement et d’épouvante. Au moment où les moissonneurs s’interrogent du regard et cherchent à deviner le sens de ces paroles étranges, inattendues, Remy s’évanouit. Ce premier acte serait excellent, si l’auteur n’en eût troublé l’effet comme à plaisir, en atténuant la malédiction de Remy par le dialogue de Claudie et de Ronciat, qui nous révèle la faute du personnage principal. Le plus simple bon sens