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ses pensées sous une forme vivante, si, entraîné par un fol orgueil, il eût essayé de nous parler, sans relâche sous des noms différens, l’ennui se serait bientôt emparé de nous. Tout en rendant justice au maniement ingénieux de la parole, tout en admirant la splendeur et la variété des images, l’auditoire n’aurait pu écouter avec une attention soutenue une thèse dialoguée. Si, pendant la représentation de Claudie, la foule n’a pas eu un seul moment d’impatience ou de distraction, c’est qu’il n’y a pas dans le drame nouveau une scène qui ressemble à une argumentation : l’enseignement se cache sous la passion. L’histoire qui se déroule sous nos yeux nous offre une suite de leçons, sans jamais prendre la forme didactique.

L’auteur eût-il agi plus sagement en cherchant dans les récits du passé un fait réel qui lui permit de développer sa pensée dans un cadre plus important, d’ajouter au charme de la fantaisie le prestige des personnages consacrés par l’éloignement ? Je ne le crois pas. Il est plus à son aise, dans son Berri que dans nos bibliothèques ; il l’a plus souvent étudié, il le connaît mieux que les livres qui nous offrent le tableau du passé ; il a donc très bien fait à mon avis de mettre en scène les personnages qui lui sont familiers : il n’est jamais prudent de se fier au savoir acquis la veille.

Les personnages inventés par l’auteur de Claudie, pour le développement de la thèse que je viens d’indiquer, sont très simples, et tirés de la vie réelle. Je ne dis pas que tous ces types soient conçus avec la largeur qu’on pourrait souhaiter ; plusieurs de ces personnages pourraient, en effet, donner lieu à des objections assez sérieuses ; mais il est certain du moins qu’ils n’ont rien d’imprévu, rien d’inattendu, rien d’invraisemblable. C’est pourquoi, tout en reconnaissant que l’auteur de Claudie n’a peut-être pas fait tout ce qu’il pouvait faire, et ses précédens ouvrages me donnent le droit d’exprimer cette réserve, je suis forcé d’avouer que les figures mises en œuvre dans son drame nouveau sont revêtues de tous les caractères qui excitent l’intérêt et la sympathie. L’héroïne même du drame, Claudie, est une conception pleine à la fois de grace et de grandeur. Elle a aimé, elle s’est confiée, elle a été trompée, elle est devenue mère, et son amant, qui avait promis de l’épouser, s’est retiré dès qu’il a vu s’évanouir les espérances de richesse qui avaient dicté sa promesse. Claudie porte sa faute avec vaillance ; flétrie dans l’opinion, condamnée par les matrones du village, elle se réfugie dans sa conscience, et se dit : Pour me sauver de l’abîme où je suis tombée, il m’aurait suffi d’envelopper dans un commun mépris, dans une commune défiance tous les hommes qui se disent amoureux de la jeunesse et de la beauté. J’ai pris au sérieux, j’ai accepté comme vraies les promesses que j’entendais, et ma confiance