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pour la Péninsule une menace incessamment suspendue sur son industrie, sur son commerce, sur sa fortune tout entière. C’est cette différence qui fait la supériorité et la force du parti modéré, comme elle fait la faiblesse du parti progressiste. La révolution française de 1848 n’a point changé cette situation.

Supposez un instant le parti progressiste arrivant au pouvoir le lendemain de février : par une double conséquence logique, nécessaire, simultanée, supérieure à la volonté même des hommes, cette traînée de poudre qui venait de s’enflammer à Paris passait les Pyrénées pour aller éclater à Madrid, et l’Angleterre triomphait en même temps dans l’effacement momentané de la France. Lord Palmerston n’avait-il pas soin de prendre date par sa note du 16 mars 1848, où il affichait une intime solidarité avec le parti progressiste, pour lequel il réclamait le pouvoir d’un ton injurieux et hautain ? L’Espagne était la prisonnière de la révolution et de l’Angleterre ; elle se sentait frappée à la fois dans son instinct monarchique et dans son indépendance nationale. Je sais quelles vives et chaleureuses protestations de dévouement à la monarchie ont fait entendre les chefs du parti progressiste dans les premiers instans, qui ont suivi la catastrophe de février ; mais enfin il est quelque chose qui eût été plus fort qu’eux, c’est la fatalité d’une situation compromise avec la révolution et avec l’Angleterre. Le premier acte de M. Mendizabal ramené à la direction des affaires n’eût point été, j’imagine, de faire revivre de son propre mouvement les cadres de l’insurrection en réorganisant les milices nationales : il reste à se demander si les miliciens de Madrid ne se fussent point trouvés convoqués tout seuls pour l’accompagner à l’hôtel de la rue d’Alcala, de même que le ministre progressiste n’eût pu éviter que M. Bulwer, datât du jour de son avènement une victoire de plus pour l’influence anglaise. S’il en a été autrement, on n’en peut douter, c’est parce que la politique modérée, dirigée par une main virile, s’est trouvée à ce moment maîtresse du pouvoir. Seul, par ses traditions et par ses doctrines, le parti modéré a pu repousser la contagion révolutionnaire sans sacrifier l’intérêt permanent qui rattache l’Espagne à la France ; séparé de l’Angleterre par son passé, menacé encore par elle dans ce suprême instant, seul il a pu répondre comme il l’a fait par les fermes et vigoureuses dépêches de M. le duc de Sotomayor aux injonctions britanniques, en ne s’appuyant que sur l’instinct national. Placé dans l’extrémité la plus périlleuse, privé de ses alliés habituels, livré absolument à lui-même, le gouvernement conservateur de l’Espagne a su transformer ainsi les impossibilités dont il était environné en un affranchissement véritable.

Pour nous-mêmes, pour la France, ces faits ont un grand sens : ils sont la confirmation la plus éclatante de la politique suivie à l’égard de