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dans le premier moment, que va faire cette ville livrée aux passions armées et à des hommes ambitieux ? Viens, nous la ramènerons au gouvernement, nous lui rendrons la tranquillité, nous empêcherons qu’elle ne soit saccagée, nous éviterons qu’il ne coule beaucoup de sang. Qui imaginera que toi et moi nous soyons des faiseurs de juntes junteros ) ! » Narvaez avait, en effet, refusé tout titre révolutionnaire ; il avait réclamé la dissolution de la junte, maintenu les soldats dans l’obéissance, et c’était par ses soins et par son énergie que le général Sanjuanena, envoyé par Clonard, avait pu rentrer à Séville, le 23 novembre, sans effusion de sang.. Qu’on admette même une pensée secrète chez les deux généraux, au cas où l’insurrection de Séville eût pu s’étendre et avoir quelque succès : cette pensée n’atteignait point assurément les pouvoirs légaux et réguliers de l’Espagne ; elle ne se dirigeait que contre cette puissance abusive et menaçante qui se concentrait chaque jour davantage au quartier-général de l’armée du nord. La lutte renaissait ainsi sous toutes les formes, aux moindres prétextes, et par malheur ici dans des conditions équivoques, telles qu’elles favorisaient des doutes sur Cordova et Narvaez et qu’elles préparaient le plus facile succès à Espartero. Le chef de l’armée du nord était le seul qui ne pût se tromper sur le sens secret de ce mouvement avorté ; aussi réclama-t-il immédiatement avec hauteur le jugement et le châtiment des deux généraux ; il alla plus loin en demandant que leur cause fût disjointe de l’ensemble des faits insurrectionnels, et qu’ils fussent traduits devant un conseil de guerre dans la circonscription de son commandement. « La fortune n’abandonne point cet homme, disait Cordova ; ces événemens le grandissent à nos dépens. — Votre général s’en tirera, ajoutait-il par un étrange pressentiment en parlant à un aide-de-camp de Narvaez ; moi, je n’en puis dire autant. » Cordova résumait en quelques mots et avec une rare lucidité cette phase nouvelle. Espartero triomphait ; il voyait disparaître dans une échauffourée inexpliquée les deux hommes les mieux faits pour balancer sa puissance ; il était sur la pente au bout de laquelle se trouvaient, pour lui, les scènes de Barcelone en 1840 et une régence révolutionnaire : Cordova, forcé d’émigrer, se réfugiait en Portugal, où il mourait peu après ; Narvaez gagnait Gibraltar, puis venait vivre en France, jusqu’à ce qu’il pût rentrer en Espagne en soldat accoutumé à ressaisir la victoire et avec une autorité politique singulièrement agrandie. Si on regarde de près les événemens de Séville en 1838, je ne serais point surpris qu’on y pût voir comme un essai informe et avorté de ce qui s’est reproduit plus tard, en 1843. Seulement, à la première de ces époques, les dangers et les conséquences de cette prépondérance d’un chef d’armée jetant sans cesse son épée dans la balance ne s’étaient pas dégagés aux yeux du pays et n’avaient pas le pouvoir de le passionner. En 1843, la dictature militaire d’Espartero avait fourni