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armée au milieu d’une contrée démoralisée et désorganisée ; il avait eu à punir l’insubordination, la désertion, la trahison même. « Je suis résolu, disait-il à ses soldats en présence du cadavre d’un déserteur fusillé, à faire des exemples terribles qui assurent la discipline et le respect des devoirs militaires ; vous avez à choisir entre deux chemins celui du crime et celui de l’honneur ; dans le premier, vous êtes témoins de ce qui arrive ; dans le second, vous trouverez la récompense que vous réserve la patrie. » Il existait dans l’armée de réserve un officier, commandant d’un corps franc, don Jose Calero, dit Tronera. Cet officier, qui avait d’ailleurs de brillans services, fut convaincu d’être d’intelligence avec quelques-uns des cabecillas de la Manche et d’avoir exposé ses troupes à être détruites ; il fut saisi avant d’avoir pu songer à se sauver, et son jugement s’ensuivit. La femme de Calero avait eu le temps de se rendre à Madrid, et était parvenue même à exciter la sollicitude du gouvernement. « Le ministre peut me destituer, répondit Narvaez, soit ; mais je jure que le coupable sera fusillé, et je jetterai, s’il le faut, ensuite mon bâton de commandement sur son corps ; l’ira ramasser là qui voudra ! » Il se faisait ainsi justicier dans des scènes tragiques qui ont le pouvoir de subjuguer les imaginations en Espagne plus que de les étonner. C’est avec une telle énergie que Narvaez était arrivé à former en quelque temps une armée vigoureuse, disciplinée, aguerrie par des combats de chaque jour pendant trois mois, et dont la martiale attitude excitait quelques jours plus tard l’admiration de Madrid, quand elle défilait, son général en tête, sous les yeux de la reine et en présence d’une population émerveillée de voir des soldats qui n’étaient ni affamés, ni débraillés, ni insubordonnés. Les résultats obtenus par le jeune général émouvaient vivement l’opinion publique, d’autant plus qu’ils coïncidaient en ce moment même avec l’échec de l’armée du centre devant Morella et le désastre de Maella, où périssait le brave Pardiñas, et où cinq mille hommes se rendaient à Cabrera, qui n’en avait que trois mille. Dans cet épisode de la pacification de la Manche, qui offre en lui-même un caractère complet. Narvaez apparaît tel qu’il est réellement, actif, énergique, organisateur, avec une volonté indomptable, avec des instincts d’ordre et de discipline qui le désignaient naturellement à un grand rôle dans l’armée et dans la politique le jour où le mouvement des partis se simplifierait pour devenir une lutte directe entre la révolution et l’élément conservateur en Espagne.

Narvaez avait été appelé à Madrid et nommé successivement capitaine-général de la Vieille-Castille, puis général en chef d’une nouvelle armée de réserve portée cette fois à quarante mille hommes. La création de cette armée nouvelle attestait doublement l’importance acquise par le pacificateur, de la Manche : elle n’était pas seulement un acte militaire, elle avait un sens politique sérieux dans la situation de l’Espagne