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commandement qui ne laissait nulle place à l’indiscipline. L’insubordination, on le sait, a été le fléau de l’armée espagnole, joint à tous les fléaux auxquels la Péninsule était en proie durant ces années 1835 et 1836 qui ont été les plus calamiteuses de la guerre civile. Le mal gagnait de toutes parts et se communiquait à tous les degrés de la hiérarchie, depuis le général qui refusait d’obéir à son chef jusqu’au soldat qui massacrait son général. L’anarchie politique se reproduisait dans la vie militaire avec un caractère particulier de fureur tragique. Par l’ascendant d’une énergie où le sentiment politique se mêlait à l’instinct du soldat, Narvaez sut préserver ses troupes, et, si ç’a été par la suite une raison plausible de sa fortune, ce fut pour le moment ce qui fixa sur lui l’attention et l’aida à se mettre au premier rang.

Il faut se reporter vers ces années néfastes 1835 et 1836. La dissolution, à vrai dire, était universelle au-delà des Pyrénées, et en tout autre pays que l’Espagne on eût pu considérer ce spectacle comme le dernier moment de l’histoire d’un peuple. Des passions sinistres, qui n’avaient point même le mérite d’être sincères, incendiaient les couvens à Saragosse, à Barcelone, à Hort, à Reuss. Qu’un ministère se formât à Madrid, des juntes s’établissaient sur tous les points du territoire et proclamaient leur indépendance. Le pouvoir était sans autorité même sur ses serviteurs et sans ressources pour payer une armée qui était sa seule défense. Les généraux étaient égorgés dans les villes, comme Baza, qui périt à Barcelone en défiant du moins l’émeute jusqu’au bout, — ou étaient massacrés par leurs propres soldats comme Escalera et Saarsfield à Miranda et à Pampelune. Les patriotes de Madrid se disputaient quelques lambeaux de la chair de ce fier et malheureux Quesada, dont le regard seul les faisait trembler la veille. L’Espagne tout entière acceptait pour drapeau la constitution de 1812 portée au bout de la baïonnette d’un sergent, et ce n’étaient assurément ni M. Mendizabal ni M. Calatrava, les ministres issus des mouvemens successifs de 1835 et 1836, qui pouvaient mettre un frein à l’anarchie universelle. Il n’est point difficile de comprendre que chaque effort de la révolution dut être un élément de succès pour la cause carliste. Zumalacarregui était mort, il est vrai ; mais l’armée de don Carlos occupait la Navarre et les provinces basques ; la Castille, l’Aragon et Valence étaient sillonnés par les guerrillas, entre lesquelles celle de Cabrera prenait déjà les proportions d’un corps organisé ; la Manche était ravagée par les factieux et séquestrée du reste de l’Espagne, de telle sorte que, de la Péninsule tout entière, ce qui n’était pas au pouvoir des bandes carlistes était au pouvoir de l’anarchie révolutionnaire. Au milieu de cette étrange confusion, on n’a point oublié peut-être un épisode qui frappa singulièrement les imaginations au-delà des Pyrénées : c’est l’expédition de Gomez. Ce hardi partisan, à