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sourd, un grand cri, un second coup, et puis plus rien, que le bruit du vent et de la pluie. Elle avait assommé son mari.

— Elle avait assommé son mari ! nous écriâmes-nous tous les quatre.

— Oui, messieurs, bien assommé. Voilà toute mon histoire. Je n’eus jamais le courage de descendre l’échelle. Cette femme, ce cadavre… ma foi j’avais peur. L’idée me vint de passer à travers le toit de paille. C’est par là que je sortis. Je retrouvai mon cheval et j’allai faire ma déclaration au juge de paix. La femme a été jugée et condamnée à mort, les circonstances atténuantes n’étant pas encore inventées. Voilà l’affaire. Qu’en pensez-vous ? Personne depuis n’a osé habiter cette maison, et les bergers disent qu’on y voit des revenans. C’est pourquoi vous leur avez fait peur hier soir. Allons, messieurs, une goutte par là-dessus, dit le maire en finissant.

Ce drame local nous avait intéressés, et nous dissertâmes long-temps avec son héros sur les mœurs peu naïves des habitans du Causse. À midi, pourtant, force nous fut de prendre congé de notre hôte, qui nous fit promettre de repasser chez lui au retour de notre pèlerinage.

Nous reprîmes notre route à travers les steppes jonchés de cailloux, où l’on ne rencontre que des pâtres à demi sauvages qui passent leur vie à lancer des pierres et à manier la fronde. En moins de trois heures, nous devions atteindre Roc-Amadour. À moitié chemin, il fallut s’arrêter brusquement. Devant nous s’ouvrait un abîme à pic, un puits cyclopéen, dans lequel on aurait renversé une des tours de Notre-Dame. Des guirlandes de lierre et de vigne vierge tapissaient les parois de cet abîme. Au fond, un clair ruisseau coulait sur un frais gazon. Des volées de corneilles tourbillonnaient autour de nous en croassant. C’était effrayant et tout à la fois charmant à voir. Les géologues expliquent que les eaux creusent souvent, dans les terrains calcaires, des excavations pareilles, et le puits de Padirat, qui était sous nos yeux, n’a rien de surnaturel à leur sens. J’aime mieux, pour ma part, l’explication des indigènes. — Un jour, il y a probablement fort long-temps, saint Martin et le diable voyageaient ensemble, on ne sait pour quelle raison. Ils montaient l’un et l’autre des mulets excellens. Comme ils étaient de plaisante humeur, l’idée leur vint de faire un steeple-chase. Les voilà donc franchissant à qui mieux mieux les murailles, descendant à fond de train des précipices ; pas un rocher n’était assez haut, pas un abîme assez large pour les arrêter. Lassé d’une course trop facile, Satan s’arrêta, et, appelant saint Martin : « Je parie, dit-il, creuser un fossé que tu ne sauteras pas. » Le saint se mit à rire. L’ange des ténèbres alors étendit la main ; son index s’allongea démesurément, s’alla ficher en terre et creusa en une minute le puits de Padirat. — N’est-ce que cela ? dit le saint, et, piquant des deux, il franchit l’abîme. C’était un joli saut, car ce puits n’a pas moins de cinquante-quatre mètres de profondeur