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qu’on dirait de carton et peintes pour le bon plaisir des Anglais. Au pied du Montanvert, vous admirerez une petite fille, goîtreuse, qui met en mouvement, à l’aide d’une tringle de fer, un soufflet, lequel donne l’ame à trois trompettes criardes cachées dans une chaufferette et qui jouent, à ce qu’on assure, le ranz des vaches ; plus haut, vous achèterez des fraises à un autre goîtreux. Votre guide ne vous fera grace d’aucun article du programme, vous n’aurez pas votre libre arbitre. Dans le Causse, c’est ainsi qu’on nomme le pays que nous traversions, nous étions du moins les maîtres d’attraper à volonté la fièvre ou une fluxion de poitrine. Nous raisonnions gaiement, autour de notre feu sur toutes ces choses, quand le bruit d’une clochette qui vint à retentir à peu de distance interrompit notre conversation : c’était un troupeau qui s’approchait. Il faisait déjà sombre, et nous n’aperçûmes pas d’abord un berger qui, caché derrière un mur, semblait regarder avec terreur ce qui se passait dans l’intérieur de notre masure. En nous voyant apparaître sur le seuil, ce jeune homme poussa un cri et se sauva à toutes jambes. Nous n’avions garde, malgré le charme de notre aventure, de perdre cette occasion excellente de retrouver avec notre route un dîner quelconque. Nous poursuivîmes donc ce berger en blouse blanche, pareil à un Bédouin, l’appelant à grands cris. Il fuyait comme le vent ; enfin, se voyant serré de près, il tomba à genoux en proie à une épouvante risible. Sur notre assurance que nous ne lui voulions aucun mal, et que nous le récompenserions au contraire, s’il voulait nous conduire au prochain village, il reprit la voix ; puis il marcha en avant, non sans jeter sur nous de temps à autre dans l’obscurité des regards soupçonneux. En moins d’une heure, il nous amena à l’entrée d’un assez grand bourg, et nous montra du doigt une fenêtre éclairée, prétendant qu’elle était celle d’une auberge. En recevant sa bonne-main, le drôle nous examina encore ; puis reculant de trois pas et d’un ton moitié sérieux, moitié railleur :

— Que faisiez-vous, nous dit-il, dans la maison maudite ?

— Maudite et pourquoi ?

— Vous le demanderez à M. le maire, répondit-il, et il se sauva à toutes jambes.

Pour toute description de l’auberge où nous entrâmes, il me suffira de dire que l’on nous fit payer pour nos lits deux sous par tête, et c’était cher ! Ce nom de maison maudite me trottait dans la tête, et j’en rêvai la nuit, car notre hôtesse, vieille mégère sourde et de méchante humeur, n’avait pas été femme à satisfaire notre curiosité.

Le brocanteur, qui était le plus jeune et le moins aguerri d’entre nous, quitta le premier, le lendemain matin, le taudis où nous ronflions de conserve. Il revint bientôt l’œil brillant et la figure enluminée.

— Victoire ! s’écria-t-il, et il nous conta comment il avait entrevu à