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de ces rimes faciles que nous y récitions trois siècles plus tard. Nous faisions des conjectures à ce sujet, quand le bruit des sabots pesans de la fermière de Montal, qui grimpait les escaliers quatre a quatre, mit fin à nos poétiques controverses. La bonne femme s’inquiétait de la prolongation de notre séjour dans ces salles abandonnées. — Il est nuit ; nous cria-t-elle d’un ton aigre, que pouvez-vous faire ici ?

— Ce que j’y fais, dit le brocanteur en s’avançant vers elle avec une galanterie qui nous fit pouffer de rire,

Cherchant plaisir le meurs du mal d’aymer,
Et tout pour vous, dame au cœur très amer.

— De quoi parlez-vous ? interrompit la fermière.

— De Marot.

— Il est notaire, reprit-elle, vous le trouverez à Saint-Ceré ; mais il est temps de partir. La bonne femme songeait au propriétaire de Montal. Il fallut obéir, et nous nous mîmes en marche en riant des citations continuelles de notre ami qui savait son Marot à merveille :

D’aller à pied, très illustre seigneur,
Lassé je suis, car profit ni honneur
N’y puis avoir. . …
Et suis tant las que, sans mentir,
Je n’ai jambe qui ne me tremble, etc.

Le soir, enfin, nous continuâmes dans une sombre auberge, remplie de rouliers un peu ivres, nos dissertations sur le siècle de Benvenuto, du Primatice de Diane et du roi chevalier.

Au lieu de décrire l’auberge où nous étions, je laisserai parler La Fontaine ; le grand poète a fait le voyage de Limousin, et sa prose consolera de la mienne. Dans une lettre inédite publiée récemment et écrite de Limoges en 1663, je trouve une description d’auberge à laquelle, après deux siècles de progrès, il n’y a rien à retrancher, rien à ajouter, les hôtelleries du centre de la France y sont peintes de main de maître « Dispensez-moi, vous qui êtes propre, de vous en rien dire. On place, en ce pays-là, la cuisine au second estage ; qui a une fois veu ces cuisines n’a pas grande curiosité pour les sausses qu’on y appreste. Ce sont gens capables de faire un très meschant mets d’un très bon morceau Quoique nous eussions choisi la meilleure hostellerie, nous y bûmes du vin à teindre les nappes, et qu’on appelle communément la tromperie de Bellac. Ce proverbe a cela de bon que Louis XIII en est l’auteur. » Il paraîtrait, malgré tout, que le grand poète ne fut pas trop révolté, car ; dans ce taudis, il ne dédaigne pas de mettre ses contes en action ; il ajoute gaiement : « Rien ne m’auroit plu, sans la fille du