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amours de Rose, pourraient conter encore de doux mystères. On y lit de tous côtés : Que j’aime Ferdinand ! ou Pierre ! ou Léonard ! ou Joseph ! et l’on signe Julie, Mariette ou Euphrosine. Des cœurs entrelacés, des dates bienheureuses servent d’illustrations à ces aveux sans voiles, et il est de toute évidence que la jeunesse de Saint-Ceré prend Montal pour Cythère. Il est fâcheux, il est incompréhensible que ce château, qui, je le répète, est un chef-d’œuvre, soit ainsi abandonné. Je conçois que M. le duc de Luynes laisse Castelnau s’écrouler : ses proportions féodales ne vont plus aux fortunes actuelles, et le riche propriétaire de Dampierre se ruinerait à restaurer ce donjon ; mais Montal est petit et complet ; hors les meubles, rien n’y manque. Un modeste républicain ne s’y trouverait pas trop au large. Enfin ce château, qui coûterait assurément un million à construire, a été acheté, il y a peu d’années, 15,000 francs, y compris les terres qui en dépendent, et qui rapportent, dit-on, 12 ou 1,500 francs. Il est encore à vendre ; avis à ceux qui sont en quête d’une villégiature.

Notre ami le brocanteur ne pouvait se décider à quitter cette demeure charmante. Il s’était paresseusement couché dans un grand salon sur une épaisse litière de paille de maïs dont les dalles étaient jonchées. La nuit venait, et il restait en contemplation devant une belle cheminée de pierre, sur laquelle dormait depuis des siècles un grand cerf sculpté. Il évoquait le souvenir de Diane de Poitiers, qui semblait avoir oublié là cette jolie bête dont Jean Goujon faisait sa compagne. Dans l’ombre croissante, il voyait passer le siècle des élégantes amours, et ces souvenirs le mettaient fort en train de suivre les conseils de Marot !

Plus tost que tard ung amant, s’il est saige,
Doit à sa dame en petit de langaige
Dire son cas, et puis s’il apperçoit
Qu’il perd son temps et qu’amour le déçoit,
Quitte tout là, cherche ailleurs advantage.

Marot, selon notre ami, avait dû venir à Montal. Rien n’est plus probable en effet, car Marot, comme on sait, était du Lot. Il naquit à Cahors, et c’est assurément la plus grande illustration de cette petite ville, bien que M. Cathala-Coture, dans son Histoire du Quercy[1], prétende que César, en voyant Cahors, fut si surpris de son étendue et de sa magnificence, qu’il s’écria : — Ah ! je vois une seconde Rome ! J’ai voulu citer cette phrase. Pas un historien gascon ne trouvera mieux. Marot, pour en revenir à lui, peut avoir composé dans ce château quelques-unes

  1. Les étymologistes prétendent que Quercy vient du mot latin quercus (chêne), et que ce nom a été donné à cette partie de la France en raison des forêts de chênes qui la couvraient.