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Il avait fait son testament. On fit l’inventaire du mobilier qui consistait en quatre mauvais lits, un peu de vaisselle d’étain, quatre couverts d’argent que ma mère réclamait et très I eu de linge, plus deux vieux habits de mon père, sa montre d’argent et cinquante louis en or. Nous étions, mes frères et moi, dans un état attendrissant, manquant de tout, à peine vêtus, mangeant ce que nous pouvions, et par bonheur ayant trouvé, à défaut de précepteur, quelques ressources dans notre oncle de Chalusset. »

Voilà le point de départ : Croyez-vous que ce jeune homme ainsi élevé sera : un ignorant, — vous vous tromperiez, — et qu’il se contentera de cultiver au fond de sa province son champ ou son jardin : — il n’y pense même pas. Continuons : « Le comte de Laqueille, colonel du régiment de Nice, proche parent du marquis d’Ambrugeac, notre oncle cherchait des gens de qualité, Il ne s’embarrassait pas de la fortune. Je fus nommé lieutenant dans son régiment et je le joignis au printemps. Ma mère me donna les deux vieux chevaux, ils valaient au plus vingt-quatre livres chacun c’étaient les véritables montures d’un Gascon. Mon domestique avait un vieil accoutrement de mon père. J’emportai six chemises, une suite assortie et treize louis. Ma route me coûta peu de chose, ayant l’étape de Clermont jusqu’à Aire. » Voilà comment ces jeunes gens partaient, et voulez-vous voir comment ils se comportaient ? Notre gentilhomme avec son mince équipage fait en Allemagne la campagne de 1749. Voici ce qui lui arrive dans les environs de Rozendal le 14 mars. « … La déroute commençait, et je reçus à la fois un coup de sabre sur la tête, un coup de lance dans le genou, et dans la poitrine un coup de feu qui me traversa bravement de part en part. Je restai sur pied, la fureur me soutenait ; je ne voulais pas voir fuir mon piquet ; mais toutes exhortations furent inutiles, et mes soldats me passèrent sur le corps. J’avais alors quatorze ans : c’est le temps de ma vie où j’ai eu le moins de penchant à vivre : Je conservai tout mon sang-froid. En me relevant, je me trouvai entre les mains d’une horde de pandours ; il n’y avait rien à espérer de ces drôles qui avaient commis dans le courant de la guerre une foule de cruautés qui leur avaient été bien rendues. Mon âge et ma taille leur montraient assez que j’étais officier ; je brisai mon épée pour éviter le désagrément d’être désarmé par cette canaille ; mais j’avais une veste écarlate avec un petit galon d’or qui les séduisit, etc »

Ce n’est pas le lieu de conter plus au long les aventures, pourtant fort intéressantes, de cet officier imberbe, qu’on dépouille, que l’on attache mourant sur un cheval, qui parle couramment latin au chirurgien allemand qui le panse, et qui, six mois après, de retour en France, répond d’un ton hautain à M. le duc d’Aiguillon, qui refusait de lui donner de l’avancement ; « Dès que vous ne voulez pas écouter la justice