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de fête n’avait d’autre soin que de faire jouir tout le monde à son aise des biens qu’on avait amassés les autres jours. — Tu as raison, répondit le jour de fête, mais si je n’avais pas été, tu ne serais pas. » Enfin, pour revenir à nous, si notre ami n’eût pas été aussi lourd, aussi abruti, nous n’aurions pas autant apprécié ce jour-là les chances heureuses de notre vie active. Dans l’après-midi, nous abandonnâmes le gros campagnard à sa torpeur, et, après avoir suivi, par une belle soirée, les bords de la Dordogne et la magnifique vallée qu’elle arrose, nous arrivâmes le soir à Bretenoux sur les confins du Lot, au pied du château de Castelnau, que nous comptions visiter.

Castelnau est l’un des plus grandioses de ces châteaux en ruines qui couronnent toutes les montagnes dans cette partie de la France et donnent une si frappante idée de la puissance féodale dont ils restent les imposans témoignages. En aucune province, je crois, on ne trouve des traces aussi surprenantes et aussi multipliées du moyen-âge. Dans le Limousin et dans le Quercy, dont Castelnau défend la frontière, on rencontre à chaque pas, non point des châteaux de cette importance, mais des fiefs à tourelles, des fortins aristocratiques qui rappellent tous des noms illustres de la chevalerie française. Chose remarquable, dans la vicomté de Turenne où nous étions, ce ne sont point les pierres seules qui survivent, les familles elles-mêmes sont demeurées fidèles à leur foyer, et dans la plupart de ces châteaux, dont la révolution a décapité les tours, vous trouvez sous l’habit d’un paysan, au milieu de son troupeau, le descendant incontestable d’un croisé dont l’écusson figure à Versailles. J’ai cité d’Anteroches, j’aurais pu rappeler mille autres noms, s’il ne me semblait hors de propos de causer aussi long-temps blason en ces jours de république démocratique. Je veux pourtant faire connaître un fait, à mon sens très touchant, qui s’est produit, il y a quelques années, quand le roi Louis-Philippe eut l’idée peu bourgeoise de ce musée des croisades dont je parlais tout à l’heure. On sait que chaque nom a été inscrit sur les murs de ces salles en vertu de pièces justificatives. Ces titres ont été trouvés, à ce qu’on présume, en partie à Livourne, à Gênes, à Venise. C’étaient ordinairement d’humbles quittances fournies, en terre sainte, par les chevaliers aux usuriers italiens qui leur prêtaient leurs livres tournois. Eh bien ? les titres de noblesse des familles du Limousin et du Quercy se sont retrouvés le plus souvent ensemble, dans la même caisse, collés les uns aux autres. Ces enfans d’un même pays combattaient apparemment sous la même bannière, et, après cinq ou six siècles, aux lieux d’où ils étaient partis, on voit encore, à peu de distance les uns des autres, leurs donjons démantelés, on y retrouve leurs descendans pauvres, il est vrai, déclins, mais fidèles à leurs murailles, et unis comme autrefois. « Leurs pères avaient été ensemble à la peine, ils ont été à l’honneur ensemble, » cela