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Saint Jean d’après le Dominiquin attestent une entière soumission aux principes des maîtres et une science assez étendue pour les pratiquer heureusement ; mais c’est surtout dans la Vierge de Saint-Sixte que le talent de Müller se manifeste et qu’il semble parvenu à sa maturité. Avant d’entreprendre cette planche d’après Raphaël, le jeune graveur s’était rendu en Italie pour y dessiner quelques autres œuvres du grand peintre et se préparer à la traduction du tableau de la galerie de Dresde par l’étude des fresques du Vatican. Revenu en Allemagne, il s’était mis aussitôt au travail et l’avait poursuivi avec une telle ardeur, que vers la fin de 1815, c’est-à-dire au bout de trois ans, il l’avait déjà terminé. La Vierge de Saint-Sixte mérite d’être comptée parmi les meilleures estampes qui aient paru au commencement du siècle, et le succès a depuis long-temps accueilli cette belle planche : succès tardif cependant au gré des désirs du graveur, et que malheureusement il ne sut pas attendre. Lorsque Müller eut achevé son œuvre, il voulut l’éditer lui-même, comptant en tirer à la fois beaucoup de gloire et quelque profit. Épuisé par un travail excessif, il espérait que tant d’efforts ne demeureraient pas sans récompense et qu’il suffirait de quelques jours pour l’obtenir. Ces quelques jours s’étaient écoulés, et déjà l’artiste, en proie à une anxiété fiévreuse, commençait à accuser l’indifférence générale. Bientôt il lui fallut traiter avec un éditeur pour que le fruit de ses peines ne fût pas absolument perdu. Plusieurs connaisseurs achetèrent alors des épreuves de la Vierge, sans que la popularité s’attachât encore à l’estampe dont l’apparition devait, aux yeux de Müller, avoir l’importance d’un événement public. Tant de déceptions achevèrent de ruiner la santé de l’artiste et ne tardèrent pas à ébranler sa raison. Plongé dans un sombre abattement, il attribuait à des ennemis imaginaires l’injustice dont il était victime, et le désespoir où l’avait jeté cette pensée ne lui laissait plus le courage de supporter la vie. Un moment vint où l’exaltation fut à son comble, et Müller se frappa d’un coup de cet instrument dont les graveurs se servent pour ébarber les tailles creusées par le burin. Bien peu après, la Vierge de Saint-Sixte obtenait ce succès que Müller avait rêvé avant l’heure : l’éditeur s’enrichissait en vendant les épreuves dont celui-ci avait eu hâte de se dessaisir, et le nom du jeune graveur acquérait dans l’Europe entière la célébrité qui lui était due.

Les travaux de Bervic, de Morghen et de Müller, quoique fort inégaux en mérite, peuvent résumer l’état de la gravure en France, en Italie et en Allemagne pendant les premières années du XIXe siècle. Ils prouvent qu’à cette époque les principes étaient encore à peu près