Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriétaire de notre connaissance habitait auprès du Puy d’Arnac ; nous prîmes donc congé de la noble paysanne avec beaucoup d’excuses et de remerciemens. Au moment de passer la porte, je jetai sur le portrait un dernier coup d’œil. Le feu l’éclairait en ce moment d’une si étrange manière qu’il semblait animé. Le regard de M. d’Anteroches vivait, et il me sembla que ce bel officier regardait tristement, du haut de son cadre doré, la misère de sa famille. — Oh ! décadence ! décadence française ! m’écriai-je, et je sortis bravement au milieu des torrens de pluie qui tombaient au dehors.

La nuit était venue, et nous ne trouvâmes pas sans peine la route de R… Heureusement la gaieté ne nous quittait guère : nous savions, grace à elle, narguer le vent et rire de l’orage. L’un de nous, en traversant un pré, tomba dans un réservoir ; il en ressortit luisant et joyeux comme un triton. Enfin une maison sombre et triste se montra ; nous débouchâmes dans la cour, nous tenant par le bras et chantant à tue-tête, par cette nuit orageuse et noire, cet air de circonstance :

Amis, la matinée est belle,
Sur le rivage assemblons-nous.

Aussitôt trois chiens aboyèrent, une lumière courut de fenêtre en fenêtre, enfin une porte s’ouvrit, et une vieille servante, armée d’un grand chandelier, parut tout effarée. Depuis un demi-siècle, cette maison solitaire n’avait certainement pas reçu à pareille heure quatre visiteurs aussi bruyans. Nous ne devions pas rencontrer là de surprises comparables à celle que nous avions trouvée dans la maison en ruines du Puy d’Arnac. Les bonnes fortunes de ce genre ne se présentent pas deux fois par jour ; même en Limousin, où elles sont plus communes qu’ailleurs. Nous savions au contraire à merveille ce que nous allions voir, car tous les petits fiefs de province se ressemblent à l’intérieur, et l’existence qu’on y mène est invariable. Cette vie des champs, on l’a beaucoup vantée, et on a eu raison. On a commenté mille fois le fameux vers de Virgile et chanté sur tous les tons les joies bucoliques. Dans ces derniers temps surtout, où les fantaisies démagogiques ont pu faire croire à une nouvelle invasion des barbares, beaucoup d’imaginations parisiennes ont rêvé, comme un pis-aller, à tout prendre, assez doux, une villégiature ignorée, une chaumière au fond d’un bois perdue et le repos des champs. Que de jeunes femmes j’ai entendues qui organisaient à l’avance le chalet de leurs rêves et leur poétique pauvreté ! « Vous croyez que j’ai besoin de luxe et d’argent, disaient-elles, que vous vous trompez ! Une simple maison tapissée de plantes grimpantes, couverte en chaume, doublée en sapin, mais bien luisante et bien chaude ; des rideaux blancs tout unis, une robe de toile à 20 sous