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que l’esprit conçoit, que la volonté adopte, et non comme une concession subie en attendant qu’on y échappe. De ces deux lignes, laquelle a été suivie ? Quelle révélation des sentimens intimes du pouvoir dans le nom de M. Carnot, dans celui de M. Vaulabelle, dans celui de M. Recurt, qui, avec une allure personnelle bien différente de celle de M. Caussidière, avait montré au ministère de l’intérieur autant d’imprévoyance à la veille du 23 juin que l’ancien préfet de police dans la matinée du 15 mai ? Quels complices de tant de catastrophes furent éloignés de l’administration publique ? Quelle vigueur fut déployée contre les clubs ? Ce fut de faute en faute qu’on se laissa conduire jusqu’à capitulation. Il fallut les scandales du banquet de Toulouse pavoisé de drapeaux rouges et l’interpellation de M. Denjoy, il fallut qu’au langage tout-à-fait incohérent du ministère dans cette séance succédât tout à coup une évolution beaucoup plus militaire que gouvernementale du général Lamoricière pour que le concours de MM. Dufaure et Vivien fût réclamé.

Ce remaniement ministériel, le second depuis les journées de juin, eut lieu vers le milieu d’octobre ; encore disait-on que le général Cavaignac s’y prêtait avec une extrême répugnance ; encore voyait-on M. Recurt descendre un troisième échelon du pouvoir et mis à l’Hôtel-de-Ville, comme pour y conserver une place de sûreté : c’étaient là des prétextes de plaintes envenimés par l’esprit d’opposition, disaient les ministériels d’alors. Hélas ! la science politique consiste précisément à enlever aux malintentionnés les moyens de calomnier, aux simples les occasions de se méprendre, et c’est ce qu’on ne cessait d’offrir aux uns et aux autres.

Je puis attester, sur des données qui ne sauraient me tromper, que la droite ne fit qu’à son corps défendant acte d’opposition envers le général Cavaignac et repoussa souvent les avances de ses ennemis. Un des votes, par exemple, qui le contrarièrent le plus fut celui qui étouffa à sa naissance le projet des commissaires, plagiat inoffensif dans son intention primitive, mais extrêmement dangereux dans les circonstances où il se produisait. M. Baze et moi, nous contribuâmes à le faire échouer. Aussitôt après notre succès, nous fûmes accablés d’applaudissemens : par qui ? — Par nos amis ? Non ; ils nous approuvaient, mais avec tristesse, et craignaient d’ébranler le gouvernement, de mécontenter le général. Nous fûmes applaudis surtout par les membres de la montagne, qui commençait à poindre ; cinq ou six ordres du jour motivés me furent remis par ceux qui, sans s’avouer vaincus en juin, gardaient cependant profonde rancune au vainqueur. Je ne comprenais rien au parti qu’on voulait tirer de mon discours. Je me réfugiai hors de la salle. Je fus poursuivi par les plus ardentes sollicitations. Un des hommes les plus éminens de ce parti me disait dans l’oreille :