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M. de Lamartine les représentans qui, comme moi, avaient cru devoir s’y présenter le soir même de l’ouverture de l’assemblée constituante. Beaucoup d’entre nous avaient été profondément blessés du livre des Girondins, et nous ne venions pas faire amende honorable : le 24 février, survenu depuis l’apparition du livre, ne prouvait pas que l’on se fût trompé sur sa portée ; mais nous avions à cœur de témoigner combien les griefs, même les plus légitimes, avaient été effacés postérieurement par d’éclatans services. On rencontrait chez M. de Lamartine, il est superflu de le dire, la bienveillance la plus franchement oublieuse des critiques personnelles. L’entretien devint sans effort cordial et expansif. Plusieurs de mes collègues et moi lui demandâmes comment allaient s’entamer nos travaux ? « Quoi ! répondit M. de Lamartine, vous attendez de nous un canevas ? Mais la constitution de la France, au point où nous en sommes arrivés, est la chose du monde la plus facile à faire : prenez Béranger et Lamennais ; dans quinze jours, la constitution sera faite ! » Voilà le scrupule constitutionnel qui régnait alors dans les régions du pouvoir. Assurément M. Béranger, ne fût-ce qu’en rédigeant sa lettre de démission quelques jours après, a donné de son esprit et de son bon sens une haute idée à la France. On conviendra pourtant que résumer en lui toute la conception législative de la république future, et dans l’homme profondément à plaindre, exemple de la plus éclatante chute intellectuelle de notre siècle, c’était à faire reculer de quelques pas les débutans dans la carrière constituante.

Cependant cette impression pénible fut surmontée : un interlocuteur, membre de la gauche avancée, y fit diversion. Il ne présentait qu’une objection à la légèreté confiante de M. de Lamartine : il aurait voulu qu’un titre de la constitution fût préparé d’avance, c’était celui du pouvoir exécutif. Il ne doutait pas, et qui en doutait ce soir-là dans Paris ? que le gouvernement suprême de la France, sous une dénomination ou sous une autre, ne fût dévolu à M. de Lamartine. Il était impatient, comme un sujet de l’ancien régime, non d’être constitué, mais d’être gouverné, et c’était la disposition d’esprit des hommes influens d’alors : le gouvernement ! le pouvoir exécutif ! un homme tout prêt pour le pouvoir, le pouvoir modelé sur les aptitudes et les dispositions de cet homme, voilà tout le souci des législateurs principaux. L’accident pour règle, le hasard pour génie, et le mot - à perpétuité - inscrit au front du premier préambule venu, voilà ce que la France aurait pu saisir dans toute la sphère morale et politique qui s’étendait de l’Hôtel-de-Ville au ministère de l’intérieur et de la rue de Grenelle à la rue des Capucines ; tout le reste était relégué à l’arrière-plan.

Aussi, quelques jours de là, le prestige de M. de Lamartine et