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la révolution, trop à l’exclusion de ses premiers auteurs et de ses premiers amis ? Cette scission commença, non sur l’égale répartition des impôts, non sur l’admissibilité de tous les Français à tous les emplois, sur la liberté des cultes : tout cela était, dès 89, aussi irrévocable, aussi certainement voulu qu’aujourd’hui. La rupture ne s’opéra pas sur les principes, mais sur la façon de les faire prévaloir, sur la ligne de conduite propre à en assurer l’empire. Les royalistes disaient : — Vous dirigez la France sur un écueil ; elle s’y brisera. — Les révolutionnaires répondaient : — Si vous refusez de marcher, coûte que coûte, vous n’êtes plus des nôtres, et nous vous déclarons traîtres à la patrie. — On sait le reste ; on sait si les prédictions sinistres furent trompeuses, si la France n’eût pas pu payer de moins de sang et de larmes des conquêtes d’institutions, des conquêtes de territoire qui ne lui furent conservées ni les unes ni les autres, et dont le peu qu’elle garde n’a été sauvé qu’en les arrachant violemment des mains qui les avaient compromises.

Que fut 1814 et 1815 ? Un élan de justice de la France, qui dit à sa vieille maison royale : — J’oublie l’émigration ; ne me reprochez pas les ruines au milieu desquelles je vous rappelle, et réparez-les. — Une œuvre ainsi inaugurée devait être féconde ; elle échoua par une seule cause, par un seul sentiment, la méfiance. Au moindre mouvement des libéraux, quelques royalistes leur jetaient à la tête les souvenirs de la convention et l’injure de noms flétris dans l’histoire. Au moindre retour des royalistes vers des habitudes qu’un trait de plume de Louis XVIII ne pouvait pas anéantir chez la génération contemporaine, les libéraux s’épouvantaient de l’ancien régime et reprenaient les épithètes de Pitt et Cobourg. Dans ce conflit de fantômes, la réalité disparut. D’un côté, M. Casimir Périer, M. Sébastiani, M. Guizot étaient relégués au nombre des hommes qu’un gouvernement monarchique ne pouvait employer, et l’on a vu depuis combien profonde était cette méprise ; de l’autre côté, l’Espagne était rattachée à notre politique, la Grèce était érigée en royaume quasi-français, l’Algérie était conquise, sans qu’on cessât de récriminer contre l’invasion étrangère et d’imputer aux royalistes l’affaiblissement du sentiment national. M. de Chateaubriand enseignait les franchises de la presse et la langue de l’opposition aux vieux tribuns restés muets depuis quinze années. M. de Villèle restaurait les finances, sans qu’on s’abstînt de répéter que tout royaliste était indigne ou incapable de manier les instrumens de la liberté et du pouvoir.

1830 fut le triomphe de ces lamentables malentendus. La scission ne s’établit plus alors seulement entre royalistes et révolutionnaires. Le camp monarchique se coupa en deux ; les prophéties lugubres recommencèrent. — On a compromis la liberté au début de la révolution ; on a vingt fois risqué et vingt fois perdu sa partie, disaient les