Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de donner un pendant à cette planche justement estimée, et il avait fait paraître son Enlèvement de Déjanire d’après le Guide[1]. Ce dernier ouvrage, auquel les juges du concours décennal accordèrent le prix sur toutes les gravures publiées en France de 1800 à 1810, confirma la réputation de l’auteur, et détermina le mouvement qui fit rentrer quelques artistes dans l’ancienne voie. Ce n’était pas toutefois que Bervic ne s’en écartât un peu lui-même, et l’on peut dire que de tout temps il la côtoya plutôt qu’il ne la suivit résolûment. À l’époque de ses débuts, il ne s’était pas assez défié des dangers d’une facilité extrême : plus tard il attacha trop d’importance à certaines qualités matérielles ; mais il faut ajouter que jamais il n’en vint à sacrifier absolument l’essentiel à l’accessoire, et son œuvre entier révèle, à travers beaucoup d’imperfections, un talent assez remarquable pour que l’on doive classer le graveur de Déjanire au premier rang des maîtres de second ordre. Wille, dont les nombreuses estampes d’après les peintres de genre flamands ne manquent ni de souplesse d’exécution ni de charme, Wille avait été le maître de Bervic, et celui-ci avait puisé à cette école une science de l’effet que, fort jeune encore, il sut mettre à profit dans le portrait en pied de Louis XVI, l’une de ses meilleures planches. Ce portrait, gravé d’après le tableau peint par Callet et placé aujourd’hui au palais de Versailles, ne laisse point soupçonner la médiocrité de l’original. La peinture est d’une couleur fade, d’un dessin lourd et indécis ; l’estampe, au contraire, présente un aspect lumineux et ferme, un faire aisé, exempt encore d’ostentation. Les dentelles, le satin, le velours, tous les accessoires y sont traités avec une largeur qui n’exclut pas la finesse des détails, et le ton de l’ensemble est riche et harmonieux. Cependant on discerne déjà dans quelques parties une certaine recherche de la façon, et l’on pressent que cela pourra dégénérer en prétention à la belle taille, puis aboutir à l’excès du procédé ; c’est ce qui arriva en effet. Bervic voulut dès-lors faire montre d’habileté, et il finit par exécuter dans son Laocoon, le plus connu peut-être de ses ouvrages, des tours de force de burin qui, jusqu’à un certain point, peuvent surprendre, mais que l’on ne saurait admirer sans réserve. Le soin avec lequel il s’est efforcé d’imiter le grain du marbre par la minutie des travaux ressemble fort à une puérilité, et, bien qu’il ne fallût pas graver un groupe de statues dans les mêmes conditions que les figures colorées d’un tableau, il était important de reproduire la forme et le style de l’œuvre d’art originale plutôt que le poli de la matière

  1. Une autre entreprise d’assimilation entre les maîtres anciens et les peintres modernes a été plus récemment tentée par M. Richomme, qui grava, pour être mises en regard l’une de l’autre, la Galatee de Raphaël et la Thétis de M. Gérard. L’essai tourna surtout à l’honneur du graveur, et l’égalité de mérite qu’offrent les deux estampes réussit à dissimuler la disparité qui existe d’ailleurs entre les compositions originales.