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quelque temps ont trop paru préoccuper le parlement comme le président. Le président et le parlement avaient réussi par leur bon accord à nous assurer, depuis deux ans, une amélioration réelle dans l’état du pays ; le président et le parlement ont aujourd’hui trop laissé dire ou prêté trop à penser qu’ils avaient en tête quelque campagne qui achèverait radicalement l’œuvre de notre salut, mais à laquelle chacun devait se préparer en commençant par se débarrasser de l’autre. Il s’organise toujours auprès des grandes situations politiques un entourage d’autant plus dangereux, qu’il s’arroge la permission de servir des intérêts et des principes considérables avec des sentimens et des idées vulgaires. En traversant cet entourage, toutes les impressions s’exagèrent, tous les bruits grossissent. Les difficultés qui découlent d’une constitution mauvaise, les jalousies qui se substituent trop souvent à l’émulation entre des pouvoirs qui ne sont point, au bout du compte, exercés par des anges, les accidens et les boutades deviennent des hostilités systématiques. Puis les Iagos s’en mêlent et noircissent les intentions encore plus que les actes. C’est ainsi que le président de la république et la majorité de l’assemblée nationale se sont trouvés divisés au moment où l’on s’y attendait le moins : celle-ci déclarée suspecte de vouloir se garder une épée à son usage pour quelque mystérieux dessein de résurrection monarchique ; celui-là presque accusé d’acheter à tout prix l’avènement de l’empire et de se frayer par des voies souterraines le chemin des Tuileries.

Ne nous lassons pas de le redire, l’impossible est là. Que le président désire, qu’il désire même avec ardeur la prorogation de son autorité dans les termes d’un juste contrat, dans les conditions raisonnables que les circonstances imposent à tout le monde, il n’y a rien en cela de nouveau ni d’extraordinaire, et nous ne sommes point tellement pourvus de combinaisons tranquillisantes pour l’avenir, que celle-ci nous paraisse à dédaigner. Ce serait, à coup sûr, un pas en avant et en mieux dans ce régime des à-peu-près où nous vivons : c’est là le possible, comme le bon sens le souhaite ; l’impossible, ce serait le plagiat de Napoléon-le-Grand, même en petit. Comme aussi, d’autre part, personne n’est tenu de s’interdire le regret des établissemens déchus, ni d’abdiquer les chances de l’avenir, — l’impossible, ce serait d’aller chercher, au jour d’aujourd’hui, le jeune homme exilé de Frohsdorff et l’enfant exilé de Claremont, pour les ramener à Paris en leur mettant l’un à l’autre la main dans la main, en les chargeant de réconcilier comme ils pourraient 1815 avec 1830. L’impossible, ce serait la fantaisie du loyalisme aussi bien que la fantaisie du chauvinisme. Dans une époque troublée comme la nôtre par tous les contre-coups révolutionnaires, il faut le temps pour calmer les agitations de la surface, pour aider à voir clair au fond, pour en dégager les éventualités possibles ; l’impossible, c’est de se passer du temps.

Telle est néanmoins la tournure qu’a prise en un clin d’œil le démêlé des deux pouvoirs, qu’ils se sont donné l’air de ne plus vouloir, ni l’un ni l’autre, compter avec le temps. Qu’en est-il arrivé ? Aussitôt qu’on a pu soupçonner en eux, à tort ou à droit, cette arrière-pensée de l’impossible, le public n’a plus ressenti l’émotion de la querelle soulevée dans les régions supérieures du gouvernement. Il est demeuré froid et presque indifférent. Nous avons aujourd’hui devant nous l’un des phénomènes les plus neufs qui se soient encore rencontrés dans nos vicissitudes politiques. La discorde, l’anarchie même rè-