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que possible. On doit compter pour y voir clair sur les nombreuses fentes et crevasses de la voûte et des murailles. S’il pleut, et à trente lieues de la côte il pleut six mois de l’année, la pluie pénètre sans obstacle ; si le temps est sec, il vous arrive, par les crevasses des bouffées de vent qui détachent des murs, de la voûte et du sol, une poussière menue qui vous envahit, sans vous laisser de défense possible : c’est dans cette insupportable atmosphère que vous devez vivre une douzaine d’heures par jour ; c’est sur ce sol, rendu inégal par la pluie et les coups de talons des voyageurs vos devanciers, que vous devez établir votre mince matelas pour vous reposer de dix heures de marche. Vous trouvez pour vos mules le maigre pâturage sur lequel est construit le tambo ; mais, pour vous, n’espérez rien qu’un triste feu de mottes de terre et de l’eau. Si vous apportez des provisions, si vous avez une marmite et un cuisinier, vous dînerez ; autrement allez vous coucher, Dieu vous garde !

Nous poursuivîmes notre ascension à travers une sorte de désert montagneux, couvert d’efflorescences de salpêtre, et allant à l’encontre d’un vent glacé qui nous coupait la figure. Quatre jours après notre départ d’Amérique, nous passâmes le plateau le plus élevé de cette branche des Cordilières, l’Alto de Toledo, à quinze mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Le sable, qui partout couvre le sol, ressemble à des excoriations de lave écrasée ; des troupes de vigognes paissaient sur les vastes plateaux qui nous environnaient. Je descendis de cheval, et j’aperçus une herbe fine comme un cheveu, et sortant du sable seulement de quelques lignes. Son nom indien est ichu. Comme les gens qui voyagent n’ont pas d’ordinaire le temps de faire la chasse, les vigognes ne s’effarouchent nullement de la vue des mules et des voyageurs. Je pus facilement en tirer une, qui s’éloigna en traînant la patte. Je laissai ma mule pour courir après la vigogne ; mais je n’avais pas fait vingt-cinq pas, que, saisi d’un violent mal de tête, la respiration courte et les membres rompus de fatigue, je fus obligé de cesser ma poursuite, bien heureux de pouvoir remettre en selle ma déconfite personne. Le soir, nous couchâmes à Tincopalca, dans une ferme à moutons, propriété d’un étranger. Ces terres désolées étaient autrefois sans produits et sans valeur ; un Anglais les a achetées au meilleur marché possible, et y a établi des moutons, qui aujourd’hui lui donnent un revenu considérable. Il faut rendre justice à l’esprit d’entreprise de la nation britannique : partout où il y a une exploitation avantageuse à tenter, on est sûr de trouver un Anglais ou une compagnie anglaise. Les montagnes, sur ce versant des Cordilières, sont couvertes d’une rare verdure jaunâtre, que paissent des troupeaux de moutons et de llamas ; à droite du chemin, nous vîmes le lac de Cachipa, à gauche celui de Lagunilla. Ces deux lacs de montagnes sont d’un effet sévère ;