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tenait éloigné de Lima autant que possible. D’abord soldat, c’était par sa bravoure que Nieto était arrivé au grade de général de division, et on citait avec éloge la loyauté, la fermeté de son caractère. Si la guerre civile recommençait, le général Nieto, disait-on, était appelé à y jouer un grand rôle.

Je causai beaucoup avec les fonctionnaires péruviens de l’état du pays et de la révolution qui l’avait produit : on me répondit généralement : « La révolution contre l’Espagne n’a pas été faite par le peuple et pour le peuple, car les Indiens, qui forment le peuple de nos provinces, sont restés sous la république ce qu’ils étaient sous la monarchie, gent taillable et corvéable. Le vieux système de gouvernement était entaché de nombreux abus ; mais Espagnols, Américains et métis, tous en profitaient. Seulement, il avait existé de tout temps une haine violente et déclarée entre les Espagnols venus d’Espagne et les Espagnols nés dans le pays. Les vice-rois étaient sans cesse obligés d’interposer leur autorité entre les deux partis, qui parfois en venaient aux mains. C’est cette haine des créoles, justifiée ou du moins expliquée par la conduite des Espagnols venus d’Europe et par les places et faveurs dont ils étaient comblés à l’exclusion des fils du pays, c’est cette haine qui a éclaté dès qu’elle a trouvé une occasion. Ce sont les créoles qui ont pris les armes contre les Espagnols, et non pas les républicains contre le roi d’Espagne. Les propriétaires espagnols, les employés du gouvernement, se tinrent tranquilles pendant la lutte, favorisant en secret le parti du roi. Dans ce pays, l’on n’avait aucune idée républicaine ; mais, comme il fallait des mots pour appeler à nous les métis et les chiollos, nous parlâmes au nom de la république, qui avait pour elle le charme de l’inconnu. Aux petits employés on promit de grands emplois ; aux métis et aux chiollos, des places et de l’argent. Quant aux Indiens, on ne leur a rien dit, rien promis : les deux partis ont également fait la presse dans leurs villages, et les Indiens se sont battus comme s’ils avaient eu une cause à défendre. Après la victoire est venue l’heure de tenir les promesses faites au moment du danger : c’était chose impossible, et les mécontens ont été innombrables. Si le système monarchique constitutionnel eût pu nous servir d’étendard, c’est le seul qui aurait eu chance de vitalité ; mais quel prince d’Europe eût voulu venir régner dans ces pays en discorde ? Bolivar le savait bien, et, sans vouloir se faire roi, il voulait commander à tous, parce qu’il sentait qu’une main ferme pouvait seule rétablir l’ordre et les lois. » Le même langage me fut tenu par les gens les plus considérables du pays ; mais personne n’avait rien à proposer pour sortir de cette situation.

Dans une douzaine de maisons où l’on me présenta, les hommes me reçurent avec politesse et réserve, les femmes avec une aisance parfaite. Je ne sais comment les Péruviennes ont deviné les manières