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un représentant, considérant que le président d’Haïti a bien mérité de la patrie par ses constans efforts pour le maintien de l’ordre et des institutions, propose de lui accorder, à titre de récompense nationale, une maison à son choix, sise dans la ville, et les deux chambres, mues comme par un ressort, se lèvent en masse pour l’adoption. Trois mois se passent ensuite en votes silencieux ; mais bientôt cette majorité satisfaite et décimée tremble qu’on prenne son mutisme pour une implicite protestation, et elle vient brûler quelques nouveaux grains d’encens aux pieds du tyran nègre. L’orateur du sénat dit : « Déjà, président, nous avons eu à constater l’influence bienfaisante de votre administration sage et modérée… A votre voix, les passions se sont tues (il leur avait coupé la gorge !), et le règne des institutions est devenu une vérité pour nous tous… Les circonstances vous ont bien servi pour mettre en relief votre beau caractère, porté à tout ce qu’il y a de noble et de généreux. Continuez, président, ne vous arrêtez pas… » L’orateur de la chambre des représentans s’écrie à son tour : « Combien est grand l’amour de la nation pour votre excellence ! combien ne s’honore-t-elle pas de votre administration paternelle, des nobles sentimens de fraternité, de concorde et de clémence qui vous animent, et qui l’ont plusieurs fois transportée d’enthousiasme ! » (Moniteur haïtien du 6 janvier 1849.)

Toussaint, Dessalines et Christophe avaient pu exercer une tyrannie aussi dure, mais jamais aussi bien acceptée que celle de ce formidable poltron, pour qui toute ombre était un fantôme, tout silence un guet-apens. Et ce n’était pas la stupeur du premier moment de surprise qui glaçait autour de lui chaque volonté. De ce parlement tout saignant des meurtrières atteintes portées à son inviolabilité et qui s’essuyait le sang du visage pour laisser voir un béat sourire, des restes de cette population mulâtre qui s’interdisait jusqu’à la conspiration du deuil, de ces prisons dont l’enceinte mal close et mal gardée renfermait assez de suspects pour en former au besoin une armée vengeresse, il ne s’est encore, à l’heure qu’il est, élevé aucun cri qui ne fût un cri de servile dévouement. On ne doit pas, après tout, s’en plaindre, par cela même qu’elle restait seule debout au milieu de l’universelle prosternation, la faction ultra-noire devait tôt ou tard attirer et arrêter ce soupçonneux regard que tout ce qui n’est pas à plat ventre offusque. Et en effet, nous allons voir successivement les trois sommités de cette faction subir le contre-coup des inexorables défiances qu’elle a suscitées. Cette seconde réaction, bien que les victimes en soient peu dignes de pitié, sera heureusement, disons-le, beaucoup moins lugubre que la première. L’une est sortie d’un rêve d’extermination, l’autre va sortir d’une bouteille de tafia. Le tafia nous ramènera naturellement au général Similien.


GUSTAVE D'ALAUX.