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être pris par la douceur, n’en devint que plus farouche, et « peuple noir » ne vit dans ce redoublement de défiance qu’une nouvelle preuve du complot en question. Le programme financier des amis de Similien, c’est-à-dire le pillage combiné avec le monopole industriel et commercial de l’état, répondait à cette double préoccupation. Il n’y a heureusement que des nègres pour comprendre l’économie politique de cette façon-là (mai et juin 1848) !

La lueur de sécurité qu’avait produite la grace accordée au général Desmarêt et à ses compagnons avait réagi sur la gourde, qui, de 185 au doublon descendit subitement à 150 ; mais c’était encore une dépréciation d’environ 50 pour 100 par rapport au taux de 1847, et, la première effusion de sensibilité africaine passée, le bas peuple recommença ses murmures contre la conspiration des marchands. Comme, en outre, les expéditeurs français, anglais et américains avaient pu être informés dans l’intervalle de ce qui se passait en Haïti, il se trouva que tout arrivage du dehors cessait (en septembre, la rade de Port-au-Prince n’avait qu’un seul navire étranger) juste au moment où le peu d’approvisionnemens qui étaient restés dans la circulation achevaient de s’épuiser. De là un enchérissement cette fois très réel des denrées, une nouvelle cause d’effervescence populaire et de panique commerciale qui ramena la gourde à 185. L’armée, qui, par le fait de cette dépréciation, se trouvait obligée de se nourrir, se loger, s’armer, s’équiper, à raison de six centimes par jour et par homme, les officiers subalternes, qui, avec leurs cent francs par an, étaient réduits à demander l’aumône quand ils ne trouvaient pas à s’employer comme manœuvres, les innombrables fonctionnaires qui font pendant à un effectif militaire proportionnellement septuple du nôtre, et qui, vu la dureté du temps, n’avaient plus même la ressource de la concussion, tout ce monde de galons et de guenilles criait famine aussi haut que le bas peuple. Le gouvernement s’en effraya, et, pour détourner l’orage, il trouva tout simple d’encourager des préventions qu’il n’eût pu dissiper qu’en s’avouant lui-même l’auteur de tout le mal. Il proclama donc à deux reprises qu’il allait s’occuper de mettre un terme à la hausse outrée de tous les objets de consommation, causée, disait-il, par les ennemis du peuple, dont une partie seulement avait succombé sous le glaive de la loi, et par la mauvaise foi d’Haïtiens qui conspiraient contre le bien public autrement que par les armes. En voyant le gouvernement abonder dans son sens, « peuple noir » comprenait de moins en moins qu’on laissât entre les mains des ennemis du bien public l’instrument même de la conspiration, et que les magasins ne fussent pas encore pillés. La panique arriva à son comble. Heureusement Soulouque et le secrétaire d’état des finances, M. Salomon, n’entendaient accepter que la seconde partie du programme financier de