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les consommateurs de toutes les conditions. A la sortie de l’opéra, beaucoup de carrosses s’arrêtent dans la petite rue du Campaniello. Plus d’une compagnie élégante daigne descendre dans ces tavernes populaires. La pizza est un gâteau de pâte ferme garni de poissons. Vous désignez parmi ces galettes de différentes grandeurs celle qui vous paraît à la mesure de votre appétit. Le fournier introduit le gâteau choisi dans son four, et le rapporte cuit et brûlant au bout de quelques minutes. Les huîtres, les olives et les fruits composent les entrées et hors-d’œuvre du souper, dont la pizza forme le morceau de résistance.

Don Geronimo, le vieil oncle et le docteur français furent exacts au rendez-vous. Le jeune abbé, qui connaissait les bons endroits, nous conduisit chez le marchand de pizza le plus achalandé qui fût à Naples. Nous nous régalâmes d’huîtres excellentes du lac Fusaro, arrosés de vin de Capri. Mes deux hôtes biscéliais choisirent des gâteaux d’une largeur imposante, et sur lesquels on rangea vingt-quatre poissons comme es rayons de soleil. Le médecin et moi, qui n’étions point de la paroisse, nous nous contentâmes de galettes à six poissons, et encore nous eûmes toutes les peines du monde à en voir la fin, tant cette lourde pâte nous engouait. Don Geronimo mangea son énorme portion d’un air de sensualité tout-à-fait réjouissant. Il en était à son dernier poisson, lorsqu’un enfant, soulevant le coin du rideau, présenta sa mine éveillée par l’ouverture, et se mit à parler au jeune abbé avec une pétulance incroyable.

— Avez-vous compris ? me dit le docteur en français.

— Pas un mot, répondis-je.

— Ce bambin est l’illustre Antonietto dont je vous ai raconté les prouesses. Il vient avertir Geronimo que Lidia, informée de son retour à Naples, l’a fait suivre par un facchino, et qu’elle l’attend à la porte de cette taverne dans un fiacre pour le saisir au passage. Nous allons assister à quelque scène de comédie.

— Antonietto, dit l’abbé, va-t’en dire à la signora que je suis ici avec mon oncle et deux étrangers, que je la prie de nous laisser souper tranquillement et de ne point faire un éclat. Tu lui diras encore qu’elle prend une peine absolument inutile, que je ne veux et ne dois plus la voir, que ma détermination de ne jamais me marier est inébranlable. Dis-lui bien cela, et ne reviens pas qu’elle ne soit partie.

Le groom disparut ; mais au bout d’une minute le coin du rideau se souleva de nouveau.

— Excellence, dit Antonietto, la contessine ne veut pas se retirer sans avoir parlé à vous-même. Elle pleure et ne m’écoute pas.

— Va lui dire, reprit l’abbé, que je suis sorti par une porte de derrière.

— La signorina, répondit le groom, sait bien qu’il n’y a point de porte de derrière.