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Napolitains, qui, même en cherchant à peindre leur passion, conservent leur indépendance et leur gaieté. Quand il parlait de son amour, c’était de l’air le plus sincère et le plus pénétré qu’il pouvait.

Sans avoir à un degré bien marqué les défauts des Napolitaines, Lidia était brusque, inégale, taquine. L’empressement à la servir n’obtenait point d’elle ces récompenses délicates qu’une Française distribue avec tant d’art; elle interrompait en riant les protestations de dévouement, n’appuyait avec force que sur les preuves de son indifférence, pour glisser au contraire sur les mots gracieux dont la simple politesse lui faisait un devoir. Geronimo n’aurait pas su dire, après trois mois d’assiduité, s’il avait gagné ou perdu dans l’amitié de sa belle. Lidia ne pouvait se passer de lui; elle aurait été stupéfaite, s’il eût manqué de venir un seul jour, et nul signe de sympathie ne témoignait d’une façon un peu expressive cet heureux effet de l’habitude.

Quand l’hiver arriva, Lidia revint à la ville; Geronimo ne bougea plus de chez elle, et fit en conscience son métier de patito[1]. Ses petits soins redoublèrent, sans qu’on le traitât mieux pour cela, et il aurait bien pu rester ainsi jusqu’à sa mort à l’état d’aspirant surnuméraire, si un incident n’eût changé les rôles et les situations. Un jour de la fin de janvier, par une de ces matinées claires et douces dont le ciel de Naples est si prodigue, la jeune veuve eut la fantaisie de faire une promenade à Sorrente. Aussitôt qu’elle eut déterminé maître Michel, le lampiste, à quitter sa boutique et la vieille tante à se parer, don Geronimo fut chargé du reste. On prit le chemin de fer de Castellamare, dont les convois parcourent quatre lieues à l’heure, à moins que le mécanicien n’ait oublié de mettre de l’eau dans la chaudière, ou qu’un autre menu détail ne retarde le voyage. On loua une calèche de campagne, pour faire les deux lieues qui séparent Castellamare de Sorrente, en suivant le bord de la mer par la route la plus belle et la plus pittoresque du monde. En arrivant à Sorrente, on y trouva la bande des âniers, offrant leurs montures aux promeneurs, avec les cris et les contorsions d’usage. Dame Filippa et sa nièce s’établirent chacune sur un ciuccio, et l’on grimpa dans la montagne pour y chercher quelque beau point de vue. On n’eut pas plus tôt fait deux cents pas dans un sentier, que la tante Filippa, serrant la bride de son âne, appela maître Michel et le retint en arrière. L’ânier comprit, avec la sagacité de son métier, que les parens ménageaient un tête-à-tête aux jeunes gens, et il s’écarta de la route pour chercher des fleurs sauvages. Don Geronimo, une main posée sur la croupe du ciuccio qui

  1. Le mot de patito équivaut à peu près à celui de patira; mais en Italie on ne l’applique qu’aux amoureux sans appointemens.