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Cependant les cinq minutes s’écoulèrent, et l’on ne vit rien.

— Cela devient inquiétant, dit l’autre témoin.

Antonietto, qui guettait comme un furet, tira ce témoin par le pan de son habit.

— Chut! lui dit-il tout bas, il ne viendra point. Il a envoyé hier son domestique à la police. Remontons en carrosse, et allons-nous-en, de peur des gendarmes.

Un autre fiacre arriva pourtant à la porte Capuane, et l’on en vit descendre les deux seconds du seigneur calabrais.

— Messieurs, dit l’un d’eux, nous vous demandons mille fois pardon de vous avoir fait lever si matin pour une fanfaronnade. Don Giacomo est parti, et nous avons reçu l’avis d’une dénonciation envoyée par lui-même à la police. Si nous ne sommes point arrêtés par les gendarmes, c’est que la mesure devient inutile et le combat impossible, l’un des combattans ayant décampé.

— Si vous m’en croyez, dit Geronimo, nous irons déjeuner ensemble.

— Avec tout cela, murmura Antonietto, j’ai agi contre mon intérêt, et je perds un superbe héritage.

On entra dans une locanda où l’on mangea gaiement et de bon appétit.

— Nous publierons partout, dirent les quatre témoins, le courage de don Geronimo et la poltronnerie de son adversaire.

En effet, cette aventure fit quelque bruit dans la ville. On s’en amusa dans les cafés, et lorsque Geronimo retourna pour la première fois à Saint-Jean-Teduccio, la belle veuve lui donna son front à baiser en lui disant :

— Si votre adversaire n’eût pas été un poltron, vous vous seriez battu pour moi. Je m’en souviendrai, mon ami.

— Oui, ajouta la vieille tante. Embrassez-moi, don Geronimo. Vous êtes un gentil garçon, et de plus un homme de cœur. J’aime ces gens-là. Quand vous aurez une femme, elle pourra se croire en sûreté à votre bras. Il n’en est pas de même avec les beaux-esprits et les don Limone. Je n’en veux pas dire davantage, et tant pis pour ceux ou celles qui ont des oreilles et ne m’entendent point.


VII.

Si la fortune n’aimait que les audacieux, notre ami Geronimo n’aurait pas eu grande protection à espérer d’elle; mais elle protège aussi les jeunes gens, et, comme le disait la vieille tante, elle distingue volontiers les jolis garçons. Cette remarque judicieuse de dame Filippa pourrait faire un troisième adage populaire, complément des deux