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Ne l’ai-je pas vue de près, cette mort si redoutée des cœurs faibles ? Je la braverai encore une fois.

En dînant au cabaret, notre abbé confia son aventure à deux jeunes gens experts en matière de point d’honneur, et qui acceptèrent la mission difficile de témoins. Il leur déclara que non seulement il ne ferait point d’excuses, mais qu’une rencontre était le seul parti qui lui convint, à moins que son adversaire ne lâchât pied complètement, à quoi les deux témoins répondirent qu’il n’y avait guère d’apparence, et que le duel semblait inévitable, si l’on considérait le courage bien connu du seigneur Giacomo. Après avoir donné ces instructions sévères, Geronimo rentra chez lui pour mettre ordre à ses affaires. Il écrivit à sa Lidia une lettre déchirante qu’il arrosa de ses larmes, une autre à son vieil oncle, et diverses épîtres à ses protecteurs, pour leur annoncer qu’avant de se battre, bien contre son gré, il avait renoncé à sa condition de bénéficiaire ecclésiastique. Ces préparatifs sentaient d’une lieue la mort violente. Le cœur du pauvre Geronimo se serrait, des exclamations sinistres s’échappaient de ses lèvres, et le bâton de cire à cacheter tremblait entre ses mains sans réussir à se placer au-dessus de la flamme de sa bougie. En face de lui, l’abbé aperçut son petit domestique, dont les yeux pétillans observaient ses mouvemens incertains.

— Antonietto, Antonietto ! dit le patron d’une voix caverneuse, regarde bien ton maître ; réjouis tes yeux par la contemplation d’un ami que tu vas perdre. Sers-le avec un redoublement de zèle, car c’est pour la dernière fois !

— Votre seigneurie m’abandonne ! s’écria le gamin; elle manque à toutes ses promesses et prend un autre valet de chambre ?

— Non, mon (ils; celui qui va paraître devant Dieu, celui qui marche à une mort certaine, à une véritable boucherie, comme un agneau sans défense, n’a plus besoin de serviteur.

— Elle plaisante, votre seigneurie ? dit le groom.

— Je ne plaisante pas, Antonietto; il est trop vrai que je vais mourir.

— Elle a donc encore un chagrin dont elle n’espère point se guérir ?

— Je vais me battre demain, entends-tu cela ? me battre en duel avec un homme féroce, qui a déjà tué plus de quarante personnes à coups d’épée.

Le gamin leva les yeux au ciel, et fit claquer sa langue contre son palais, ce qui veut dire, en italien : « Vous vous gaussez de moi, je n’en crois rien!» mais, quand son maître lui eut narré l’épouvantable querelle du matin, Antonietto invoqua tous les saint en accompagnant ses prières de signes de croix multipliés, comme s’il eût été lui-même à deux doigts de la mort.

— L’honneur exige cet affreux sacrifice, reprit Geronimo ; cet