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— Seigneur Geronimo, dit la belle veuve, vous êtes un homme raisonnable; depuis votre dernière folie, je vois avec plaisir que vous êtes corrigé, guéri, et que vous ne songez plus à me faire la cour. C’est très bien; je vous en sais beaucoup de gré. Continuez ainsi, et vous aurez une place particulière entre tous mes amis.

— Oui, répondit l’abbé en soupirant, vous me donnerez une place dans votre cœur pour voir le service funéraire de mon amour[1]


— Qui sait, dit Lidia, quelle messe on chantera dans mon église? Si j’en croyais ma tante Filippa, ce ne serait pas une messe des morts.

Geronimo, ranimé par ces paroles encourageantes, allait hasarder une explosion passionnée avec génuflexion, quand un coup de sonnette arrêta l’élan de son amour. Deux voisines entrèrent, et peu après vint le seigneur calabrais, son large chapeau rabattu sur les yeux, de l’air d’un conspirateur mécontent.

— Eh! qu’avez-vous? dit Lidia, quel forfait méditez-vous, don Giacomo? Auriez-vous le dessein de dévaliser un voiturin? Il ne fait pas bon voyager en Calabre ce matin, à ce qu’il paraît? De grâce, si vous rencontrez un jeune abbé dans vos montagnes, épargnez-le, je vous en prie.

— Votre préférence pour les jeunes abbés, répondit don Giacomo, pourrait bien me donner l’envie de les détrousser à la mode de mon pays.

— Fi ! seigneur Giacomo, reprit Lidia, vous parlez comme un brigand.

— Il veut me chercher querelle, pensa l’abbé, mais je ne m’y exposerai point; je ne suis pas de taille à lutter contre un duelliste de profession.

— Les brigands, répondit le Calabrais, tuent des gens sans défense, tandis que moi je me bats loyalement, à armes égales. Il dépend d’ailleurs des petits abbés de n’avoir rien à démêler avec moi; qu’ils ne viennent point chasser sur mes terres.

— Il faudrait savoir, dit Geronimo avec douceur, en quelles provinces sont vos terres, seigneur Giacomo. Si elles figurent sur la carte des Calabres, je ne les irai pas chercher; mais la paroisse de San-Giovanni-Teduccio ne fait pas sans doute partie de vos domaines.

— Peut-être, répondit le Calabrais en haussant le ton.

— Et moi, s’écria la jeune veuve, je vous déclare qu’il n’y a pas un pouce de terrain à vous ici, que vous ne mettez le pied dans ma maison qu’avec ma permission, et qu’en vous arrogeant le droit de donner des leçons à mes amis en ma présence, vous m’en donnez à moi-même indirectement, et que je le trouve mauvais, entendez-vous bien? et

  1. Avec la prononciation napolitaine, le jeu de mots est le même en italien qu’en français.