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prêt à sauter dans le fleuve pour me sauver à la nage lorsque le chemin se rapprocherait de la rive, mais partout sur la droite de la route s’étendaient des prairies et de grands marécages ; les Hongrois auraient pu me rattraper et m’atteindre avec leurs balles avant que je fuisse arrivé au bord du Danube. Lorsque nous traversâmes le village incendié de Futtak, je descendis un instant de voiture, affectant l’insouciance ; mais un des pandours fut à terre aussitôt que moi, je vis qu’il fallait renoncer à m’échapper, et mâchai alors tous les papiers qui auraient pu fournir aux Hongrois quelques renseignemens sur nos opérations. À minuit, nous arrivâmes à Neusatz ; l’officier qui me conduisait me remit aux mains du capitaine d’un bataillon du régiment de Ferdinand d’Este (un de ceux qui avaient trahi leur serment), et me laissa au corps-de-garde. Les soldats, qui portaient encore les couleurs impériales, avaient conservé ce profond respect, cet amour des chefs, vertus inhérentes au soldat autrichien ; ils m’apportèrent du pain, de l’eau fraîche, et étendirent, avec un empressement affectueux, une couverture sur un banc pour que je fusse mieux couché. L’un d’eux ayant commencé à parler de l’empereur d’une manière insultante, les autres lui imposèrent silence : l’éducation militaire avait développé dans leurs cœurs des sentimens de délicatesse dont je fus touché.

Au point du jour, lorsqu’on eut rétabli le passage en fermant le pont de bateaux, que les Hongrois ouvraient pendant la nuit de peur qu’il ne fût détruit par des brûlots, l’officier me conduisit dans la forteresse de Peterwardein au général Perczel, qui y commandait. J’entrai, le saluai fièrement et lui dis mon nom ; Perczel voulut se donner l’air d’un homme du monde, et me dit avec une politesse affectée « Je ne vous ferai pas de questions sur les opérations de votre armée, je sais d’avance que vous n’y répondrez pas ; nous savons au reste fort bien où est le ban, et nous l’attendons avec impatience. J’aurais le droit de vous faire fusiller ; mais nous ne sommes pas des sauvages mal appris, comme on se plaît à le croire dans votre armée. Vous resterez prisonnier ici, » continua-t-il au bout d’un moment. Il appela un officier, et l’on me conduisit dans une casemate : c’était une longue pièce voûtée, large de huit pas, longue de vingt ; on y descendait par trois marches ; elle était éclairée par une fenêtre au ras du sol, large de quatre pieds, haute de trois, destinée à servir d’embrasure à un canon, et fermée par une forte grille. La vue donnait sur le fossé et sur la contrescarpe. À midi, le prévôt chargé de la garde des prisonniers entra suivi d’un soldat qui m’apportait à manger ; le prévôt, qui portait encore l’uniforme impérial, paraissait avoir cinquante ans ; déjà ses cheveux étaient blancs, mais un regard plein de feu s’échappait de ses yeux gris. Il paraissait grave et triste. Quand le soldat fut