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au-delà du ruisseau, tous les regards se tournent de ce côté ; Schlick, attiré par le bruit du canon, arrivait de Gödöllö à la tête de son avant-garde et s’avançait contre la tête des Hongrois sur la lisière de la forêt. Des cris de joie retentirent dans nos rangs ; nos soldats, qui s’étaient crus abandonnés, reprirent courage ; le ban envoya le général Ottinger avec les cuirassiers de Hardegg passer le ruisseau sur le pont d’un moulin à un quart de lieue au-dessus d’Isaszeg, pour se réunir à la cavalerie que le prince François Liechtenstein amenait de Gödöllö en suivant la rive gauche du ruisseau. Les Hongrois maintenaient leur ligne de bataille et portaient à chaque instant de nouvelles batteries sur leur droite contre le corps de Schlick. Le ban voulut marcher à l’ennemi ; mais il reconnut bientôt l’impossibilité de faire passer ses troupes sur un pont de bois couvert de rondins qui tremblaient et se disjoignaient sous les pieds des chevaux. Nos deux corps réunis ne comptaient pas trente mille hommes, Georgey en avait cinquante-deux mille ; le combat fut continué à coups de canon. Cependant le ban consentit à laisser le général Ottinger, qui était revenu près de lui, conduire au-delà du ruisseau les cuirassiers de Hardegg et les dragons de l’empereur, pour tenter une attaque contre une batterie ennemie qui s’était avancée sur notre droite. Ottinger traversa le village tout en feu. Les Hongrois avaient vu notre cavalerie descendre des hauteurs, ils la savaient arrêtée dans le village, et lançaient à toute volée des boulets et des obus qui perçaient les maisons[1]. Bientôt ils amenèrent au galop plusieurs batteries et ouvrirent un feu violent sur les cuirassiers, à la tête desquels Ottinger s’avançait pour déboucher hors du village. Les Hongrois étaient à peine à trois cents mètres de nous, je crois même qu’ils reconnurent le général Ottinger à son uniforme, car, comme il s’était éloigné de la troupe pour regarder le terrain, quelques volées de boulets et de mitraille fendirent l’air et renversèrent en un instant un mur de terre devant equel il se tenait. Comme le ban l’avait prévu, les Hongrois concentraient déjà tout leur feu sur le village et sur le pont. Ottinger ramena alors ses cuirassiers en arrière et repassa le ruisseau. Le feu cessa peu à peu, et, la nuit étant arrivée, notre corps se mit en marche dans la direction de Gödöllö. La tête de la colonne s’arrêta ; je Ire retournai : le village de Gödöllö n’était plus qu’un vaste brasier, les flammes s’élevaient vers le ciel, les casques des cuirassiers et l’acier des armes réfléchissaient les lueurs rouges de l’incendie ; les coups de feu des tirailleurs de la brigade Rastich, qui entretenaient encore le combat dans la forêt, éclairaient par instans l’obscurité des bois ; la

  1. Le même boulet traversait plusieurs de ces maisons construites de mauvaises briques séchées au soleil. Je vis alors les paysans creuser en hâte des fossés devant leurs maisons et s’y coucher.