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gagner Altenbourg, puis nous ranger en bataille, avec seize mille hommes et soixante-dix pièces de canon, sur la route par laquelle tous les corps hongrois qui se retiraient sur la rive droite du Danube allaient être obligés de venir tenter le passage. En même temps, toute l’armée du prince Windischgraetz allait suivre ces corps de près pour les écraser. Le plan du ban était audacieux et parfaitement calculé, il eût certainement réussi ; mais un peu avant minuit, un courrier venant du quartier-général, qui se trouvait encore à Haimburg, apporta au ban l’ordre de s’arrêter à Casimir : le second corps n’avait pu que s’avancer lentement sur la rive gauche du Danube, il n’était pas encore arrivé devant Presbourg, et notre corps, qui formait l’aile droite de l’armée, ne pouvait plus dès-lors être détaché en avant. L’obéissance quand même est le premier devoir du soldat ; nous eûmes le chagrin d’apprendre au point du jour, par nos patrouilles, que les troupes hongroises, que nous avions deux fois coupées, avaient profité de notre halte pour passer pendant la nuit au sud de Casimir et gagner enfin la route de Raab.

Cette journée du 16 décembre aurait pu être décisive ; les Hongrois avaient éparpillé leurs troupes, et nous avions sur la rive droite deux corps d’armée avec une puissante artillerie ; nos troupes, bien disciplinées, étaient pleines de courage et d’ardeur. Par je ne sais quelle funeste circonspection, nous commençâmes dès ce jour à soumettre nos mouvemens d’opération à ceux de l’ennemi ; nous manquions de nouvelles sur la marche et le plan des Hongrois, et c’étaient eux qui, malgré leur retraite, avaient l’initiative, car il sembla dès-lors que nous ne nous avancions dans le pays qu’autant qu’ils nous abandonnaient le terrain. Si le ban Jellachich eût pu avec tout son corps aller se ranger en bataille devant Altenbourg, sur la route de Raab, l’armée de Georgey, arrêtée de front par le ban, suivie de près par les deux autres divisions du prince, aurait été détruite. Cette armée était composée des troupes impériales qui avaient trahi leur serment ; elle fut plus tard le noyau de toutes les forces hongroises, et les sous-officiers que nous avions formés fournirent d’excellens officiers pour organiser les bataillons de honveds et les levées en masse. Le destin fatal voulait que cette poignée de soldats devînt une armée de cent trente mille hommes, assez puissante pour que, quatre mois plus tard, nos belles et courageuses troupes fussent obligées de se retirer devant elle, sans avoir été vaincues, jusqu’à la frontière qu’elles venaient de passer, l’espérance et l’enthousiasme au cœur.

Lorsque nous eûmes reçu l’ordre de rester à Casimir, nous regrettâmes la prise que nous avions manquée à Neudorf ; comme nous passions le matin devant ce village, nous en vîmes sortir deux bataillons de honveds. Sans artillerie, isolés sur cette immense plaine, quelques